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Trois questions à... Gilles Dorronsoro

mercredi 22 juin 2005, par Marie Jégo

Le Monde - 21/06/2005

Propos recueillis par Marie Jégo

1. En tant que professeur de sciences politiques à l’université Paris-I - Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la Turquie, pensez-vous qu’il y a dans ce pays une sorte de désaffection pour le projet européen ?

Depuis des années, les parlementaires turcs sont amenés à voter l’acquis européen par « paquets » , sans beaucoup de débats. Le fait que ces mesures sont des progrès démocratiques n’empêche pas que la société turque puisse se sentir dépossédée de ses choix, d’autant que l’adhésion, incertaine, est à un horizon de quinze ans. En général le processus d’adhésion est plus court. Les risques de réaction nationaliste sont donc moindres. Dans ce contexte, le gouvernement turc, convaincu que l’examen majeur a été passé en décembre 2004, se préoccupe plus de contrer les discours nationalistes de l’opposition, qui font recette actuellement, et de satisfaire des demandes catégorielles. Le tournant, c’est bien sûr le non à la Constitution, qui confirme la montée du nationalisme européen et le rejet de l’élargissement. Les négociations entre l’UE et la Turquie vont probablement être dures à l’avenir.

2. Amoindrie dans le cadre des réformes accomplies pour intégrer l’UE, l’influence de l’armée ne reste-t-elle pas considérable ?

A l’été 2003, la Turquie a réformé le Conseil national de sécurité qui formait le noeud du régime sécuritaire turc. Cela a diminué le poids institutionnel de l’armée, même si le ministre de la défense ne pèse pas lourd face aux généraux. De plus, ses rangs ne sont pas nécessairement homogènes, certains officiers sont favorables à une normalisation de la Turquie, d’autres sont plus sensibles au discours nationaliste. L’armée pourrait revenir sur le devant de la scène en cas de dégradation marquée de la situation dans les régions kurdes. Des incidents ont eu lieu régulièrement mais, pour le moment, la guérilla est résiduelle. Le mouvement nationaliste kurde légal a, pour sa part, une stratégie d’intégration dans la vie politique turque, par le biais d’alliances électorales et avec le contrôle de municipalités importantes. Il a tout à perdre à un retour à la guérilla.

3. Pensez-vous qu’on pourrait assister à un retour des partis ultranationalistes en Turquie ?

Le discours sécuritaire, la peur de l’ennemi intérieur, les théories du complot restent très présents dans la société et refont régulièrement surface en cas de crise politique. La force de ces grilles de lecture s’explique à la fois par le rôle des institutions, notamment l’école, où les enfants se voient infliger un discours récurrent sur les menaces, et les partis politiques pratiquement tous bords confondus. De ce point de vue, l’avenir est inquiétant. Il faut se souvenir que l’AKP (Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur) a été porté au pouvoir avec seulement un tiers des voix, les prochaines élections législatives (novembre 2007) pourraient donc voir revenir deux partis qui jouent sur la fibre ultranationaliste et sécuritaire : le DYP (Parti de la juste voie, droite) et le MHP (Parti de l’action nationaliste, extrême droite). Or l’actuel dirigeant du DYP, Mehmet Agar, est un des hommes-clés du scandale de Susurluk, qui a mis en évidence les liens du pouvoir avec les mafias d’extrême droite. Quant au MHP, il a fait du discours anti-européen et xénophobe son fonds de commerce.

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