Le ministre turc des affaires étrangères, Abdullah Gül, l’a finalement reconnu, la crise qui affecte l’Union européenne pourrait bien avoir un effet défavorable sur la candidature de son pays à l’UE. « Nous ne pouvons pas dire, dès à présent, que tout ce qui se passe au sein de l’UE n’affectera pas l’élargissement et la Turquie. Il faut attendre que la poussière se dissipe » , a-t-il confié, samedi 18 juin, dans un entretien au quotidien Radikal. Jusque-là, la crise était ignorée, seule une chose comptait : que la date de début des négociations fixée au 3 octobre soit maintenue.
Si les déclarations de Jean-Claude Juncker, le président en exercice de l’UE ou celles de José Manuel Barroso, le président de la Commission, sur le respect par l’Union de ses engagements envers la Turquie rassurent, la position française agace : « Ras le bol ! » , titrait le quotidien Hürriyet, citant l’appel du premier ministre français, Dominique de Villepin, à une réflexion sur l’élargissement. « Certes l’Union a indiqué qu’elle remplirait ses engagements, mais d’autres voix se font entendre, comme celle du ministre français de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, ou celle de la candidate des conservateurs allemands à la chancellerie, Angela Merkel, partisans d’un statut particulier pour la Turquie, c’est inacceptable » , rappelle Onur Öymen, vice-président du Parti républicain du peuple (CHP, opposition), de sensibilité kémaliste.
Selon lui, l’incertitude qui pèse sur la construction européenne aura forcément un impact sur la candidature de son pays. « Comment pouvons-nous faire les concessions majeures qui nous sont demandées [à propos de Chypre ou de la question arménienne], si nous ne sommes pas sûrs que le but que nous poursuivons [l’entrée dans l’UE] n’est pas celui que nous aurons en bout de course ? » , demande-t-il.
Premier cas de figure, celui de Chypre. La Turquie devrait prochainement ratifier le protocole qui étend aux dix nouveaux membres de l’UE, dont Chypre qu’elle ne reconnaît pas, l’union douanière qui lie Ankara à l’Union européenne. Sans cette signature, les négociations avec l’Union ne peuvent être ouvertes. Certes, la Turquie n’a pas renoncé à signer, mais « une réserve doit y être apportée, à savoir que la signature de ce document ne vaut pas reconnaissance » .
AU PROFIT DES ANTI-EUROPÉENS
« Le gouvernement voulait faire une déclaration orale à ce sujet, nous pensons qu’il faut le faire par écrit, pour que cela ait une force juridique. Ce sujet sera débattu au Parlement dans les jours qui viennent » , précise Onur Öymen. Plus généralement sa formation « suggère au gouvernement d’attendre de voir où va l’Europe avant de faire les concessions unilatérales que l’on exige de nous » , renchérit-il.
Bien déterminé à faire en sorte que la Turquie rejoigne un jour l’UE, l’actuel gouvernement, musulman modéré, semble toujours aussi attaché aux réformes, mais il doit faire face à une crispation nationaliste revenue sur le devant de la scène ces derniers temps. « Une chose est sûre, l’incertitude qui règne autour de la construction européenne place le gouvernement actuel dans une situation difficile. Lui qui avait été porté par ce projet est menacé désormais de perdre du terrain, et il est à craindre que la confusion actuelle donne plus d’arguments aux anti-européens » , explique Ali Bayramoglu, éditorialiste au quotidien Yeni Safak (de sensibilité islamiste).
De fait, une construction européenne qui se révélerait moins ambitieuse que prévu, moins exigeante en termes d’abandon de souveraineté siérait au camp nationaliste, aux partisans du statu quo. « La Turquie pourrait tout à fait avoir sa place dans le mécanisme de décision d’une Union européenne comme celle-là » , suggère l’éditorialiste Gunduz Aktan. Comme lui, les ténors de l’institution kémaliste (l’armée, la présidence, les services secrets) en sont convaincus : « Si nous nous montrons prêts à tout accepter, cela ne fera qu’amener des exigences supplémentaires. »