D’origine turque, partageant sa vie entre Montréal et Istanbul, où il participe à l’effervescence musicale qui a éclos sur les rives du Bosphore ces dernières années, le DJ, musicien et compositeur (il a travaillé, entre autres, pour la chorégraphe allemande Pina Bausch) Mercan Dede est un passeur, transgresseur et brouilleur de frontières musicales. Imprégné de soufisme, citant volontiers Rûmî (1207-1273), le poète mystique persan qui a créé l’ordre soufi des Mevlevi, universellement connus sous le nom de derviches tourneurs, il mixe des instruments porteurs de mémoire, comme la flûte ney de la tradition soufie, aux possibilités infinies de l’électronique.
A l’heure où sort son nouvel album, Breath, sur le label turc Double Moon (distribué par Naïve), il est l’invité du Festival de Saint-Denis où il présente notamment La Tentation d’Istanbul, une création rapprochant des musiciens turcs avec des voix arméniennes d’Istanbul et la chanteuse kurde Aynur.
Quels rapports entretenez-vous avec le gouvernement turc ?
Ces dix dernières années, plusieurs gouvernements se sont succédé. Comme la Turquie est au cœur de mon travail, ils m’ont souvent approché pour que l’on mène des projets ensemble. J’ai toujours refusé. Il n’est pas question que je sois un artiste inféodé. Je tiens à garder mes distances, mon indépendance. Je peux à la rigueur accepter de les conseiller s’ils me le demandent mais je refuse toute subvention, toute aide de leur part.
Présenter un projet impliquant des voix arméniennes et une chanteuse kurde, au-delà de l’acte artistique, est-ce aussi un geste politique ?
J’ai toujours pensé que les aspects politique, artistique, social et culturel étaient intimement liés, qu’on ne pouvait pas vraiment les séparer. Cela fait longtemps, ainsi, que je soutiens les musiciens kurdes. Ce que j’exprime à travers La Tentation d’Istanbul peut participer à faire évoluer les choses dans le bon sens en Turquie. « Il faut laisser le passé au passé, aujourd’hui est une nouvelle histoire », disait Rûmî.
Ma proposition n’est pas des plus consensuelles, néanmoins le gouvernement actuel est plus ouvert, et donc me laisse faire sans problème.
Vous considérez-vous comme un agitateur de consciences ?
Absolument. Ma musique est influencée par le soufisme parce que moi-même je suis marqué par le soufisme. L’essence véritable du soufisme, c’est de ne pas séparer les gens mais au contraire de les unifier. Il ne s’agit pas de dire à l’autre ce qu’il a de différent de moi, mais plutôt de lui montrer ce qu’il a de commun avec moi.
La meilleure manière que j’ai trouvée pour exprimer cela, c’est justement d’amener à jouer ensemble des musiciens de différentes origines pour provoquer éventuellement une réaction, y compris au niveau politique. En rassemblant les gens par la musique, par la culture, on peut faire réagir et guérir les plaies.
L’ouverture politique a-t-elle été déterminante dans l’émergence de la scène des musiques actuelles à Istanbul ?
L’art et la culture sont comme des fleurs qui ne peuvent se développer que sur un sol accueillant. Ces dernières années, il y a eu de grands changements inscrits dans la Constitution, donnant beaucoup plus de liberté. Le développement économique aidant, ajouté à la jeunesse de la population, cela a permis une effervescence culturelle et artistique.