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Les 300 petites minutes de Sarkozy à Ankara

vendredi 4 mars 2011, par Cengiz Aktar

La visite du président français en Turquie, le 25 février, était trop courte pour convaincre. Elle constitue un grief de plus sur la longue liste que le quotidien stambouliote Vatan énumère contre l’Elysée.

Nicolas Sarkozy a effectué le 25 février une visite non-officielle à Ankara qui a duré en tout et pour tout 300 minutes. Le but était, en tant que président du G20, d’échanger des points de vue sur la conjoncture économique mondiale. Il convient de rappeler que, en 2009, Sarkozy n’avait pas ménagé sa peine pour exclure six pays, dont la Turquie, des sommets de chefs d’Etat et de gouvernement du G20, mais que ces tentatives s’étaient soldées par un échec lors du sommet de Pittsburgh. Pour résumer, sa visite n’est donc rien d’autre qu’un prétexte pour relever quelque peu les relations franco-turques du niveau où elles étaient tombées - par la faute de la France.

Les relations bilatérales entre les deux pays ne vont pas au mieux, malgré les efforts exceptionnels qu’a pourtant déployé l’ambassadeur de France à Ankara, Bernard Emié, qui vient d’être nommé ambassadeur à Londres. Avant même d’être élu président de la République, Sarkozy avait adopté une attitude hostile vis-à-vis de la Turquie. Devenu président, il n’a pas changé de cap et a annoncé qu’il poserait officiellement son veto à l’ouverture de cinq chapitres de discussion dans le cadre de l’adhésion à l’Union européenne. Le motif était que l’ouverture de ces chapitres impliquait l’imminence d’une intégration de la Turquie. Puis, à chaque élection, il a utilisé la carte de la Turquie, mélangeant allègrement Turquie et rejet de l’islam. Récemment, il a encore décrété que « dans un pays laïc, il ne [devait] pas y avoir d’appels à la prière » [le 16 février, alors qu’il recevait à l’Elysée des députés UMP]. Ceux qui lui ont demandé ce qu’il en était alors des cloches des églises n’ont reçu aucune réponse.

Sarkozy a toujours soigneusement évité d’effectuer une visite officielle en Turquie. Bien qu’il soit par la famille de sa mère originaire de Salonique [longtemps incluse dans l’Empire ottoman et notamment lieu de naissance d’Atatürk], il a toujours exclu de mettre à l’ordre du jour une telle visite. Le Premier ministre turc Erdogan avait expliqué en avril 2010 au Figaro, à la veille d’une visite en France, qu’il inviterait Sarkozy à venir voir la Turquie telle qu’elle est aujourd’hui, et que cela permettrait au président français de constater que dans certains domaines le pays était en avance par rapport aux pays membres de l’Union européenne. Le Premier ministre turc avait raison sauf que les hommes d’Etat français de nos jours ne semblent pas vouloir renoncer à leurs préjugés avariés. La dernière visite officielle d’un président français en Turquie, celle d’un François Mitterand en fin de mandat, remonte à presque vingt ans. Avant cela, seuls de Gaulle, en 1968, et l’impératrice Eugénie [épouse de Napoléon III], en 1869, s’étaient rendus en visite officielle en Turquie !

La France est sans doute le pays du monde qui regarde les autres avec le plus de condescendance. Tandis que la propagande électorale en France flirte avec l’islamophobie, nous constatons que la politique de Paris vis-à-vis des pays du Maghreb, structurée par la peur de l’islam, tourne à l’échec cuisant. Dans cette région et au Moyen-Orient, les nouveaux acteurs dont il faudra tenir compte ne sont plus les régimes autoritaires affidés à l’Occident. Cette nouvelle donne a commencé avec la Turquie et s’est ensuite étendue à la région. Mais les Européens n’ont pas compris ce changement. Au contraire, ils ont continué à regarder la Turquie à travers un prisme oriental et n’ont pas compris qu’ils pouvaient développer avec elle un partenariat sur une base égalitaire. S’ils l’avaient compris, ils ne se seraient pas comportés de la sorte concernant le projet d’adhésion turque à l’Union européenne.

Les questions qu’ils se posent sur le fait de savoir si « la Turquie peut constituer un modèle pour les Arabes » ne constituent pas une politique mais sont surtout le reflet de leur inquiétude, dès lors qu’à la base domine une perception tenace qui selon les contextes considère systématiquement l’autre selon les critères de l’arabophobie, de l’islamophobie, de l’iranophobie ou de la turcophobie. Le rejet de l’islam dans le discours de la droite française a encore certainement de beaux jours devant lui. Cette ignorance et cette obsession concernant l’islam sont le signe d’un déclin moral. Le nouveau concept d’ « identité nationale », mis actuellement en avant en France alors qu’il ne correspond à rien de concret, en est d’ailleurs un exemple frappant...

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Sources

Source : Courrier International /Vatan du 28 fevrier 2011

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