ISTANBUL — Nicolas Sarkozy. Un nom honni par les Turcs ? Pas vraiment. Alors que le président français, opposant résolu à l’adhésion de la Turquie à l’UE, est attendu vendredi à Ankara, l’indifférence règne dans la jeunesse francophone turque, qui a le regard tourné vers d’autres horizons.
C’est la fête ce soir à la théoriquement très europhile université stambouliote de Galatasaray. Dans ce haut lieu de la francophonie, fondé en 1992 par les présidents François Mitterrand et Turgut Özal, les enseignants célèbrent la promotion de plusieurs camarades au titre de professeur associé.
L’attitude du président français ? Elle n’empêche pas Mutlucan Sahan de dormir. « Désormais, la question (de l’adhésion à l’UE) n’a plus beaucoup d’importance », commente l’assistant de recherches.
Un verre de vin plus tard, il poursuit : « Il y a eu une déception, mais il y a aussi le fait que désormais la Turquie peut continuer son chemin même si l’option de l’adhésion n’existe plus. »
Les négociations d’adhésion entre l’UE et la Turquie, entamées en 2005, n’avancent que très lentement, en raison notamment de l’opposition de la France qui soutient l’idée d’un « partenariat privilégié » avec Ankara et a bloqué plusieurs chapitres thématiques des négociations.
Mais avec une croissance économique de 11,8%, 10,2% puis 5,5% au cours des trois premiers trimestres de 2010, les Turcs peuvent regarder l’avenir plus sereinement.
Ayse Toy, une collègue de Mutlucan, est à moitié française. Mais c’est bien « en tant que Turque » qu’elle dit non au bloc européen. « L’UE ne fonctionne plus comme elle devrait fonctionner, et puis la Turquie sera beaucoup plus forte sans l’UE. Evidemment, elle a besoin de se mettre au diapason des normes européennes, mais je ne crois pas que ça serait positif pour elle d’y entrer », estime la jeune femme.
Une opinion partagée, selon un sondage publié la semaine dernière, par 42% des Turcs, contre 50% de personnes interrogées favorables à l’adhésion.
Pour Elgiz Yilmaz, maître de conférences, le temps est venu pour la Turquie de recentrer sa diplomatie en prenant d’avantage en compte sa propre région, des Balkans au Proche Orient.
« La Turquie est devenue plus forte économiquement et les équilibres ont changé. (...) Elle agit avec plus de confiance, elle joue un rôle plus actif et ne se contente plus de d’exécuter des décisions prises par d’autres. Je trouve ça positif », commente-t-elle.
Mahmut Samsarkan, un étudiant en philosophie rencontré à la sortie d’un cours à l’Institut français d’Istanbul, affirme même partager la position du président français. « Je trouve que son attitude est la plus raisonnable, car la population turque c’est 70 millions de personnes, et c’est un pays qui a de sérieux problèmes sur le plan social. Si un pays comme ça entre dans l’UE, ça va être la fin de l’UE », déclare-t-il.
Cengiz Aktar, spécialiste des questions européennes à l’université stambouliote de Bahçesehir, tempère toutefois l’euroscepticisme ambiant. La « position inamicale forte » de la France « a fait beaucoup de dégâts aussi bien parmi les intellectuels que parmi les politiques » turcs, reconnaît-il.
Pour autant, peut-on parler de désamour à l’égard de l’Europe ? « Je ne pense pas », répond M. Aktar. « Les gens sont lassés, mais les travaux d’harmonisation législative continuent (...). Et les Turcs savent que les principes, les normes de l’UE sont importantes pour la transformation de la Turquie. »
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