Les révolutions tunisienne et égyptienne font planer espoir mais aussi inquiétudes au Moyen-Orient. Certains craignent l’ascension d’islamistes, voire un scénario à l’iranienne. Mais d’autres imaginent une autre voie et citent le modèle turc. La Turquie est en effet un grand pays musulman, qui est passé d’un régime dominé par les militaires à un régime civil.
Une économie dynamique, une société relativement ouverte, des élections libres et une population à 99% musulmane : la Turquie est la preuve que démocratie et islam ne sont pas contradictoires.
Wagdy Ibrahim, un Égyptien qui vit et travaille à Istanbul dans le secteur du tourisme, aimerait voir un miracle turc se produire en Egypte : « En Turquie en ce moment le système marche, et la majorité de la population le soutient. Avoir un système similaire en Egypte serait une bonne chose ».
La révolte égyptienne a été suivie de près par Ankara. Le premier ministre turc a d’ailleurs été l’un des rares dirigeants à appeler au départ du président Moubarak. « Vous devez répondre aux demandes du peuple égyptien qui souhaite le changement », avait déclaré Recep Tayyip Erdogan le 1er février.
La fermeté du premier ministre a contribué à augmenter le capital sympathie de la Turquie aux yeux des Égyptiens. C’est ce qu’a constaté le journaliste Mete Cubukcu, envoyé spécial de la chaîne turque NTV en Egypte pendant la révolution.
“La politique du premier ministre Erdogan et de la Turquie au Moyen-Orient, ainsi que son soutien aux Palestiniens sont appréciés. L’Egypte a perdu beaucoup de son prestige et de son leadership dans la région, aujourd’hui c’est la Turquie qui émerge avec ce rôle, notamment depuis l’épisode de Davos en janvier 2009". Erdogan avait alors claqué la porte du Forum économique mondial, en reprochant aux organisateurs de l’empêcher de parler après une longue intervention du président israélien Shimon Peres sur l’offensive militaire israélienne contre la Bande de Gaza.
Outre son discours, c’est aussi le parcours de Recep Tayyip Erdogan - ancien islamiste arrivé au pouvoir avec un programme démocrate conservateur - et l’évolution de son parti, l’AKP qui inspirent certains commentateurs au Moyen-Orient et en Occident. Selon eux, l’expérience turque peut servir d’exemple contre le fondamentalisme.
« Pour certains c’est un modèle d’islam modéré, explique Mete Cubukcu. La Turquie peut inspirer les gens mais aussi les partis politiques comme les Frères musulmans et leur faire adopter une ligne plus modérée en s’inspirant du modèle turc qui est musulman, laïc et démocratique ».
Mais à la différence du Moyen-Orient, l’héritage laïc de la Turquie, qui remonte au début des années 1920, à l’époque d’Atatürk, est solide. Certains experts ne croient donc pas que le modèle turc puisse offrir une solution instantanée aux pays arabes.
Can Buharali, vice-président du think-tank turc EDAM estime que le terme « modèle » est exagéré et que chaque pays est unique. « Les pays du Moyen-Orient, et même au-delà, peuvent, bien sûr, s’inspirer de la Turquie, mais c’est à eux de tirer, a partir de cet exemple particulier, les solutions qui sont adaptables à leurs sociétés, leurs histoires et leurs valeurs ».
Avec son problème kurde et la lutte de pouvoir entre civils et militaires, entre autres, la démocratie turque est elle-même imparfaite, mais elle reste une source d’inspiration pour un Moyen-Orient en mutation.