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La Turquie reste un pays laïc

jeudi 24 mars 2011, par Mustafa Akyol

Gouvernée par le parti islamique AKP depuis neuf ans, la société turque n’a pas pour autant changé son mode de vie libéral.

Depuis que le Parti justice et développement (AKP) est arrivé au pouvoir en Turquie, à la fin de 2002, les médias ont eu du mal à trouver un qualificatif adéquat pour le désigner. Tandis que l’AKP tient à se faire appeler “conservateur” et affirme clairement qu’il “n’est pas un parti religieux”, les définitions courantes adoptées par la presse vont de “légèrement islamique” à “pro-islamique” en passant par “à tendance islamique” et, dans les moments critiques, simplement “islamiste”. Mais, dans la mesure où l’islamisme est une idéologie, avec pour programme l’instauration d’un “Etat islamique” qui impose la charia et interdise les pratiques non islamiques dans la société, on est fondé à affirmer que l’AKP ne relève pas de cette définition. C’est assez évident.

Il n’y a pas lieu de s’en étonner, car l’AKP n’a jamais essayé d’imposer la loi islamique. La plupart des réformes juridiques que le parti a menées depuis qu’il est au pouvoir sont conformes non pas à la charia, mais à la réglementation de l’Union européenne. Lors de la réforme du Code pénal, en 2004, l’une des questions controversées avait été la tentative avortée de l’AKP pour interdire l’adultère, preuve pour certains de l’attachement du parti à la charia. Mais cette affaire avait été montée en épingle. La consommation d’alcool a elle aussi été au cœur de la polémique. En fait, les chiffres montrent que, depuis que l’AKP a privatisé la production d’alcool, qui était autrefois un monopole d’Etat, on consomme plus d’alcool en Turquie qu’auparavant.

Au-delà même de ces questions très médiatisées mais peu alarmantes, d’autres “activités antilaïcité” de l’AKP, pour reprendre la formule des laïcistes turcs, traduisent en fait une volonté d’assouplir une laïcité turque particulièrement rigide. La polémique sur le voile en est un parfait exemple. Depuis le début des années 1980, le voile était interdit dans tous les établissements scolaires, universités et emplois publics – en application d’une décision de la Cour constitutionnelle sur le sens de la laïcité. Pourtant, non seulement l’AKP mais aussi beaucoup de progressistes laïcistes voient dans cette interdiction une discrimination infligée aux femmes voilées, qui représentent quelque 60 % de la population féministe. D’où la tentative modeste de l’AKP en 2007 pour autoriser le port du voile dans les universités, ce qui a conduit à une demande d’interdiction du parti [la Cour constitutionnelle ayant été saisie pour “atteinte à la laïcité”], dont il a failli ne pas se relever.

Or il faut bien voir que l’AKP ne prône pas l’abolition de la laïcité. Il souhaite seulement qu’on en fasse une interprétation plus souple. Erdogan a déclaré que l’AKP préférait “le modèle américain au modèle français”. Mais, en dehors de toutes ces questions juridiques, la Turquie connaît une vraie mutation sociétale avec l’ascension socio-économique de conservateurs religieux qui pendant des décennies ont appartenu au sous-prolétariat ou à la paysannerie pauvre. Le changement a commencé avec l’exode rural, suivi de la montée des “calvinistes musulmans”, comme les a appelés un groupe de réflexion occidental. Il s’agit d’une bourgeoisie d’affaires qui a réussi sur les marchés régionaux et mondiaux. En d’autres termes, l’AKP n’est pas en train d’imposer la charia à la Turquie. Au contraire, il aide les musulmans conservateurs à être plus influents dans la vie publique.

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Sources

Source : Courrier International/Hürriyet 24 fevrier 2011

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