BRUXELLES de notre bureau européen
Trois mois avant l’ouverture programmée des pourparlers d’adhésion avec la Turquie, fixée au 3 octobre, la Commission européenne devait adopter, mercredi 29 juin, un projet de cadre de négociation destiné à préciser les conditions des discussions à venir. Ce projet sera ensuite soumis au Conseil des ministres, qui devra l’approuver avant de commencer les négociations.
Le texte dont débattra la Commission mercredi reprend pour l’essentiel les conclusions du Conseil européen de décembre 2004, qui avait défini les grandes lignes du mandat des négociateurs. Le Conseil européen indiquait notamment que les négociations ne pourraient s’ouvrir avant que la Turquie n’ait signé le protocole étendant à Chypre son accord douanier avec l’Union européenne (UE) et avant que ne soient entrées en vigueur six lois portant adaptation de son système judiciaire. Cette deuxième condition est acquise, la première ne l’est pas encore.
Le Conseil précisait aussi que l’examen des différents chapitres de l’acquis communautaire se ferait sur la base de « critères de référence » à définir. La discussion devrait porter, au sein de la Commission, sur le degré de sévérité de ces critères. Elle pourrait concerner aussi les éventuelles clauses de sauvegarde, permanentes ou non, ainsi que la capacité d’absorption de l’Union, mesurée par des études d’impact. Le Conseil invitait également la Commission à souligner que les négociations sont « un processus ouvert dont l’issue ne peut pas être garantie à l’avance » et à prévoir la suspension des négociations en cas de « violation grave et persistante » des droits de l’homme et de la démocratie.
La proposition de la Commission, ultime étape avant l’ouverture des négociations, est présentée à un moment où se développe en Europe un débat sur le rôle qu’a joué la perspective d’une adhésion turque dans le rejet du traité constitutionnel. La Grande-Bretagne, qui exercera la présidence de l’Union du 1er juillet au 31 décembre, a fait de l’ouverture des négociations avec la Turquie l’une de ses priorités. Tony Blair a affirmé devant le Parlement européen, le 23 juin, que l’élargissement devait être considéré non « comme une menace » mais « comme une occasion historique extraordinaire » de construire une union plus puissante.
Toutefois des voix se sont élevées, au lendemain du double rejet de la Constitution par les électeurs français et néerlandais, pour réclamer un réexamen du programme d’élargissement. La France en particulier a exprimé des réserves. « L’Union peut-elle continuer à s’étendre sans que nous ayons les institutions capables de faire fonctionner efficacement cette Union élargie ? » , a demandé Jacques Chirac le 16 juin au Conseil européen. Le premier ministre, Dominique de Villepin, a appelé, au-delà de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, à « une réflexion » sur « les modalités des élargissements futurs » et son ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, à une suspension de l’élargissement tant que les institutions n’auront pas été rénovées.
Selon Jean-Claude Juncker, président en exercice de l’Union, plusieurs Etats se sont interrogés, au cours du récent Conseil européen, sur « le rythme » et « l’étendue » de l’élargissement. Au Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, président du groupe le plus nombreux, le PPE (droite), a souligné que beaucoup de citoyens européens jugent le processus trop rapide. Pour lui, le mandat donné aux négociateurs devrait préciser que les discussions peuvent aboutir, le cas échéant, à l’établissement d’un partenariat privilégié avec la Turquie, et non à une adhésion pleine et entière. Le président du groupe socialiste, Martin Schulz, a déclaré que, mis à part le cas de la Bulgarie et de la Roumanie, « l’élargissement, pour le moment, sans Constitution, ne peut pas continuer comme prévu ».
« INSTRUMENT DE SÉCURITÉ »
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a lui-même appelé les dirigeants européens à « discuter sérieusement » des « signaux » envoyés par les électeurs à propos de la Turquie. Toutefois le commissaire à l’élargissement, Olli Rehn, a souhaité qu’après le rejet de la Constitution en France et aux Pays-Bas l’élargissement ne soit pas présenté comme un « bouc émissaire ». « Ce serait une erreur de considérer cette question comme la cause principale du non » , a-t-il ajouté. Pour M. Rehn, il serait « irresponsable » d’interrompre un processus qui est « un des plus importants instruments de la sécurité européenne ».
Le commissaire européen propose l’application d’un plan « C » pour « consolidation, conditionnalité et communication » . La consolidation suppose en particulier que les négociations commencent avec la Croatie et avec la Turquie dès que ces deux pays auront satisfait strictement aux critères. La conditionnalité signifie qu’ils doivent remplir à la lettre les conditions d’accession. La communication passe par un meilleur dialogue avec les citoyens. Comme l’a demandé le Conseil européen, la Commission devait présenter une communication sur l’organisation d’un tel dialogue, dont l’objectif est de « renforcer la compréhension mutuelle en rapprochant les peuples ».
L’accord entre l’Estonie et la Russie dérape
Souhaité depuis longtemps par l’Union européenne, l’accord sur les frontières orientales entre l’Estonie et la Russie, signé après dix ans de tractations le 18 mai, ne sera pas ratifié. Moscou a annoncé, lundi 27 juin, que la Russie retirait sa signature. Elle met en cause un préambule historique et politique que veulent ajouter les députés estoniens. Ce préambule contient une référence à des résolutions adoptées par le Parlement de Tallinn selon lesquelles l’Estonie a été « victime de l’agression soviétique » et « incorporée illégalement à l’Union soviétique » . Il n’utilise pas le terme d’« occupation » qui a fait l’objet d’une passe d’armes entre les pays baltes et la Russie lors du 60e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale en Europe, en mai , mais il est jugé offensant par les Russes qui n’entendent pas céder. Le préambule déclare aussi que l’Etat estonien a été créé en 1918 et que la République actuelle est le successeur de cet Etat, marquant ainsi le refus de toute continuité avec la République soviétique d’Estonie instaurée par Moscou au lendemain de la seconde guerre mondiale. (AFP.)