Né en 1973 dans une famille d’origine turque, Fatih Akin a obtenu l’Ours d’or au Festival de Berlin, en 2004, pour Head-On et le prix du meilleur scénario à Cannes, en 2007, pour De l’autre côté.
« Soul Kitchen » est-il un hymne à la ville de Hambourg ?
J’y suis né, je m’y sens bien. Quand je suis allé filmer à Istanbul, j’y ai vu, paraît-il, ce que ceux qui y habitent ne voient plus. Je voulais avoir cette même fraîcheur de regard sur Hambourg. Mes films précédents parlaient de la recherche d’un foyer par des êtres déracinés. Celui-ci parle de la protection de son foyer dans un contexte où les spéculateurs cherchent à vider les quartiers populaires de ceux qui leur ont donné du charme - ouvriers, étudiants, artistes. Dans un prochain film, je m’intéresserai sans doute à ceux qu’on expulse de chez eux.
C’est une comédie : parenthèse ou amorce d’un nouveau style ?
Je ne veux pas m’enfermer dans une veine. L’idée initiale était de marquer une pause. Mes précédents films étaient graves et difficiles à mener à bien. J’ai payé le prix de ma conviction. J’avais besoin de prendre du recul. Faire une pause pour moi, c’était faire un film plus léger, ouvrir la fenêtre, laisser entrer le soleil, prendre une bonne bouffée d’air frais.
En quoi est-ce un « Heimatfilm », terme qui a pour certains une connotation nationaliste ?
Je me suis inspiré de ces films diffusés à la télévision dans mon enfance. C’étaient des films bucoliques, qui ont nourri l’imaginaire du citadin que j’étais. Ils ont été faits au lendemain de la guerre, que l’Allemagne avait perdue, dans le but de reconstruire une identité mise à mal. On y exaltait la fraternité dans une communauté, la quête de ses racines. Vous savez, on est choqué en Allemagne par ce débat français sur l’identité nationale, parce que, pour nous, la France a constitué un modèle dans les années 1990. On s’inspirait de votre devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ces valeurs ont pris une résonance particulière quand on a vu l’équipe de France de football montrer que Zidane, Trezeguet ou Henry incarnaient le pays. On a cherché à vous imiter, et au moment où ces notions sont acquises chez nous, on voit la France ébranlée par ce débat. C’est désolant !
C’est un débat lancé par des politiques, le peuple n’y adhère pas !
Le président Sarkozy vient lui-même d’une famille pour laquelle cette question s’est posée de façon déchirante. Certains de ses grands-parents tenaient à obtenir la nationalité française, d’autres ne voulaient pas. Qui sait si, de façon narcissique, il n’impose pas au pays sa propre crise identitaire ? A l’entrée du XXIe siècle, l’Europe est face à des enjeux. Le flux migratoire va s’amplifier, et il faudra bien assurer un minimum d’accueil à ces réfugiés qui vont arriver de toutes parts, qui ont besoin d’un minimum de sécurité économique et sociale. Mieux vaut tenir compte de l’Histoire, car on sait à quoi mènent les nationalismes et les replis identitaires.
La façon dont vous montrez l’initiation à la gastronomie s’inspire des films de kung-fu. Comme si apprendre à découper, à présenter une assiette s’apparentait aux arts martiaux...
En fait, je ne viens ni de Turquie ni d’Allemagne, mais de la planète cinéma. C’est ça, ma patrie. Au départ, je voulais faire de Soul Kitchen un film sur le cinéma. Il fallait trouver une métaphore, je l’ai trouvée dans le monde auquel j’appartenais avant de devenir cinéaste. J’ai été serveur, barman, DJ dans un restaurant. Il y a une similitude entre ces univers. Le patron du resto, c’est le producteur ; le chef irascible, c’est le réalisateur ; les serveuses, les machinistes ; et les clients, le public.
Personnages endiablés, hernie discale du héros : c’est un film sur le corps ! Vous faites un cinéma physique !
On me l’a déjà dit à propos de Head-On, et ça me plaît. J’aime l’idée de faire du cinéma 3D sans la technologie ! Outre les cris, la danse, la cacophonie, il faut montrer la transpiration des gens qui dansent, qui cuisinent devant le feu, toute une dimension sensorielle pour que le spectateur soit embarqué dans le rythme vital des personnages. C’est un film très musical, mais où je table beaucoup sur le visuel, comme dans les films burlesques. Zinos, le héros, c’est un Charlie Chaplin d’aujourd’hui.
Propos recueillis par Jean-Luc Douin