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Etats-Unis, Israël, Turquie : qui a besoin de qui ?

vendredi 16 octobre 2009, par Cengiz Çandar, Mehmet Akkus

Ndlr : Nous vous proposons une relecture de deux « papiers » de Cengiz Çandar qui sont plus d’actualité que jamais. Notons au passage la pertinence et la qualité des analyses de ce grand journaliste ainsi que la fiabilité de ses prévisions pour ce Moyen-Orient pour le moins complexe.

Durant cette période où les relations turco-israéliennes sont au plus mauvais, nous nous étions arrêtés sur le constat que ce sont les Israéliens qui avaient le plus à perdre de cet état de fait et que c’est à eux désormais, qu’incombe la recherche de solutions pour améliorer ces mêmes relations. Certains milieux en Turquie, ne sont pas de cet avis. En effet, n’ayant pas encore saisi toutes les finesses et subtilités du Moyen-Orient, ils pensent que c’est à la Turquie de faire le premier pas. Le fond du problème n’est pas la réaction d’Erdogan face à Peres. Mais l’effet Gaza, construit à partir de cette réaction. Imaginez : est-ce qu’Erdogan aurait pu se permettre une telle réaction si, quelques jours après la visite d’Olmert en Turquie, Israël n’avait pas attaqué aussi brutalement la bande de Gaza, où vivent 1.5 million de personnes sur une surface de 360 kilomètre carrés, avec le massacre que l’on sait ?

Rendez-vous compte ! Vous maintenez un blocus depuis deux ans sur la bande de Gaza, qui va jusqu’à interdire tout transit de médicament et de nourriture. Comme si cela ne suffisait pas, vous tuez 1400 personnes dont un tiers d’enfants, blessez plus de 5000 personnes, rasez plusieurs milliers de constructions et avec tout cela, vous attendez de la part de la Turquie, votre « allié », de la « compréhension ». Ne l’ayant pas, vous vous permettez de parler de la « question kurde », allant même jusqu’à exercer un chantage, en menaçant de ne pas bouger le petit doigt au prochain passage devant le congrès américain du projet de loi sur le génocide arménien. Comment dans ces conditions, peut-on parler de « relations de confiance » ?

Le franc-parler d’Erdogan, qui en exprimant les frustrations et les vexations du monde musulman, est devenu le héros de la « rue arabe » et surtout, de la « rue turque ». De plus, il a fait gagner à la Turquie une « autorité morale » qu’elle n’avait pas jusqu’à aujourd’hui.

Turquie : le nouvel interlocuteur incontournable

La Turquie est l’héritière d’un empire qui a dirigé cette région pendant plus de 4 siècles. Les terres sur lesquelles se situent aujourd’hui Israël et Gaza, appartenaient encore à la Turquie 90 années plus tôt et sont la « terre natale » de grands-parents de l’actuelle génération.

Cette région, en plus d’avoir des liens historiques et sentimentaux forts avec à la Turquie, a aussi une grande importance stratégique. La Turquie ne peut se permettre de soutenir une politique d’instabilité et de conflits, menée sur ses anciennes terres, même par un de ses « alliés ». C’est ce refus, qui l’a hissé au rang de « leader moral ». L’importance de la Turquie dans la région, est venue d’elle-même. La fin de la guerre froide et la guerre d’Irak avaient créé un vide de leadership dans cette région. Le monde arabe, comme les palestiniens d’ailleurs, sont divisés et sans réel pouvoir.

Après avoir atteint les limites de ses attaques « dissuasives » et après avoir perdu toute légitimité morale, on ne peut pas dire qu’Israël soit en position de force. Désormais, Israël ne peut compter que sur les Américains, qui eux-mêmes, seuls, ne peuvent rien faire.

Lors de la guerre froide, la région était divisée en deux camps, l’un pro-Américain et l’autre pro-Soviétique. Au Moyen-Orient, la disparition des Soviétiques n’a pas automatiquement laissé la place aux Russes. La présence Américaine, donc Israélienne, ne subsiste que grâce aux régimes autoritaires (l’Egypte en tête). Quant à l’autre partie du vide, elle semble désormais bel et bien occupée par les Iraniens.

Vu sous cette angle et suite à Gaza et à Davos, la Turquie semble, pour l’intérêt de la région et pour répondre à un besoin, devenir le nouvel interlocuteur incontournable. C’est précisément pour cette raison, que l’Amérique d’Obama a plus que jamais besoin de la Turquie pour trouver une solution au Moyen-Orient. Car, le nouveau président américain est depuis longtemps convaincu que la création de « deux états » est la seule solution viable pour la stabilité de la région.

George Mitchell, le nouvel émissaire spécial d’Obama pour le Moyen-Orient, se rendra vite compte, qu’il a deux obstacles de taille devant lui .

Premièrement, la division de la Palestine. En effet, la Cisjordanie est dirigée par l’autorité palestinienne (FLP et Fatah), quant à Gaza, elle est sous contrôle du Hamas. Tant que l’unité palestinienne ne sera pas réalisée, il sera impossible de parler de la création de « deux états ».

Deuxièmement, Israël, qui a tout fait jusqu’à maintenant et qui encore fait tout son possible pour empêcher la création d’un état palestinien.

L’utopie d’un Etat Palestinien

Laissons de côté les réflexions et regardons un peu les chiffres et les faits. Lorsqu’en 1993, Yasser Arafat, Yitzhak Rabin et Shimon Peres se sont retrouvés à la Maison Blanche avec Bill Clinton, pour lancer le « processus de paix d’Oslo », les implantations des colonies juives s’élevaient à 109 000, c’est-à-dire, depuis l’occupation de la Cisjordanie par Israël en 1967, en 26 ans, 109 000 juifs se sont installés en Cisjordanie. De 1993 à nos jours, en 17 ans, pendant le « processus de paix », ce chiffre a plus que doublé, pour atteindre 275 000 colons. Sans compter la présence des soldats de Tsahal qui sont stationnés en permanence, pour protéger ces colonies.

Le territoire palestinien est tellement morcelé par la disposition des colonies tels des pointillés, par ses voies de liaison, ainsi que par les différents dispositifs de protection (mur et barbelés) que son économie se trouve dans un piteux état.

De plus, dans ces conditions, il est utopique de penser à la création d’un état palestinien, tellement le territoire ressemble à un gruyère. 625 postes de contrôle israélien rendent presque impossible tout déplacement des citoyens Palestiniens. Dans Jérusalem Est, capitale d’un hypothétique ‘état palestinien indépendant’, sont actuellement installés 200 mille colons juifs. D’aucun endroit de la Cisjordanie, les Palestiniens ont la possibilité de se rendre dans leur « capitale ». Dans ce cas, comment créer un « état indépendant palestinien », comment trouver une solution de paix avec la coexistence de « deux états » ? De plus, nous avons Gaza qui est devenue une ruine et qui est toujours sous blocus Israélien. Des milliards de dollars seront nécessaires pour reconstruire cette ville.

Si Israël se décide à annexer la Cisjordanie, il serait possible de concevoir la création d’un « état unique », qui s’étendrait « de la mer au fleuve », c’est-à-dire de la Méditerranée au fleuve Jourdain et dont la traversée en voiture ne durerait qu’une heure. Dans ce cas, Israël tournerait le dos aux valeurs occidentales des droits de l’homme et créerait un nouvel état d’apartheid basé sur la discrimination raciale, c’est à dire un État raciste. Parce que sans cela, l’Etat d’Israël mettrait fin à son projet sioniste d’un « état nation juif » pour la simple raison que la population arabe palestinienne finirait par dépasser en nombre la population juive. Bien sûr qu’Israël ne voudra pas de cette option, mais en même temps, elle fait aussi tout pour rendre impossible la création d’un état palestinien.

Pour cette raison, comme en 1948 et en 1967, on commence à murmurer en Israël, l’éventualité d’une rétrocession de la Cisjordanie à la Jordanie et de Gaza à l’Egypte. Mais de cette solution là, ni la Jordanie et ni l’Egypte ne veulent.

Comme on le voit, la situation est pour le moins très compliquée et la tâche des Américains, qui sont les seuls interlocuteurs de poids face aux Israéliens, n’est pas simple non plus. Il se pourrait bien que le « capital de sympathie » à l’internationale de Barack Obama disparaisse dans ce petit territoire coincé entre la Méditerranée et le Jourdain et la très étroite bande de Gaza.

Dans ce Moyen-Orient à l’équilibre très précaire, les États-Unis n’ont aucun intérêt à pousser d’un revers de la main une Turquie opposée à la guerre et aux conflits. De même qu’Israël, ne peut entraîner derrière elle, une Turquie qui a dirigé cette région pendant plus de 400 ans.

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Sources

Source : Radikal, le 7/02/09

- Traduction pour TE : Mehmet Akkus

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