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Turquie : la psychanalyse de l’avion

mardi 17 mars 2009, par Hadi Uluengin, Marillac

Je commencerai par la fin : nous sommes une société en grand besoin de soin ! Et ce n’est pas une blague, nous en avons sérieusement besoin ! De toute urgence !

C’est toute la nation qui doit subir une thérapie de groupe ! Il nous faut nous allonger sur la canapé d’un psychanalyste et tout au long de longues séances, il nous faut pleurer, crier, ne pas jurer, ou bien même nous livrer à des légères crises de délirium, pour enfin faire remonter en surface tous ces complexes, ces traumas et ces symptômes qui déterminent si profondément notre inconscient !

Et ce sera seulement au terme d’un tel processus que peut-être, peut-être, nous pourrons prétendre à une partielle normalité.
Dans le cas contraire, nous continuerons pendant toute notre vie, d’avoir peur de l’autre ; donc de le haïr et par voie de conséquence d’expliquer chaque chose par une théorie du complot. Et au final, nous emporterons dans la tombe cette vie que nous nous sommes empoisonnés.

***

Ce besoin de commencer ainsi trouve ses raisons dans les développements qui ont suivi l’exposé par les autorités néerlandaises des causes de l’accident survenu à Amsterdam sur un vol de Turkish Airlines (TA). Parce que chose incroyable, certaines chaînes de télévision et sites Internet de quotidiens en ligne ont immédiatement publié cette annonce hollandaise en l’affublant du titre suivant : « la Hollande se dédouane de toute responsabilité. »

Faisant une fois de plus passer au second plan l’objectivité et le soin du rapport du porte-parole flamand, tout comme les négligences du pilote, ils sont parvenus à dénicher une trahison derrière cette déclaration à la presse.
Ah !!!

***

Oui, je dis bien Ah !!!! Parce que l’expression « se dédouaner de toute responsabilité » porte en soi la preuve que le préjugé selon lequel l’autre est a priori coupable est bien ancré dans les esprits.

Le derviche à tête d’oie fait toujours correspondre très littéralement l’idée de « perversion » à celle de « complot ».

Et te voilà toi qui l’accident à peine survenu nous pond 1001 spéculations sur ses causes.
Alors qu’il n’en est pas le moindre indice, voilà que tu laisses entendre que les aiguilleurs du ciel sont responsables. Et par-dessus le marché, alors que tu ne sais rien à rien en ce qui aurait pu concerner le comportement de l’équipe de pilotage, voilà que tu fais du pilote un « héros » ( !) parce qu’il a réussi à planter le fuselage de l’avion dans la boue.

Et alors bien évidemment, quand tu finis par tomber sur des données objectives qui mettent ses négligences en évidence, tu es déçu et tu réagis vivement.

Quand on découvre le pot aux roses, tu te répands en phrases, articles et commentaires relatifs à tous ces plans montés contre Turkish Airlines, la société qui « monte ».

Mais ce ne sont pas 1, ni 3, ni 5 accidents. Juste la même TA qui est la société à connaître le plus d’accidents en Europe ; cette société qui détient le record de morts au million de kilomètres. Mais ces vérités, tu passes par-dessus en sifflant, en regardant en l’air.
Qu’as-tu à faire de la logique, des statistiques, des chiffres et des avertissements ? Évidemment toi tu penses les complots qui se trament.

Quand je vois cette misère, je pense immédiatement à l’accident de Charm El Cheikh qui avait vu un avion s’abimer en mer rouge et de là les mêmes théories du complot au Caire et cette même volonté de faire porter les responsabilités du pilote au constructeur.

Nous sommes bien les fils d’une région où les théories du complot sont en vogue.

En Egypte, parce que Dodi est d’origine égyptienne, on est prompt à penser que ce sont les services secrets britanniques qui ont tué Diana. Quant à nous, s’il est question des problèmes kurdes, arméniens ou chypriotes, on en revient sans cesse au cliché de cet occident qui « veut nous refaire le coup de Sèvres ».
Eux sont très prompts à voir la main d’Israël derrière toute calamité. Et nous croyons que notre avion qui s’est écrasé par négligence technique et humaine est en fait une victime sacrifiée sur l’autel de la concurrence avec la Hollande.

Et oui, en tant que sociétés de « la théorie du complot », nous avons tendance à reporter toutes les fautes sur l’autre. Parce que nous avons peur et parce que, de cette peur, nous haïssons ce même autre.

Oh, psychanalyste et psychothérapeute, hâte-toi lentement et creuse, creuse notre inconscient. Tu es notre seule chance !

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Sources

Source : 7 mars 2009, Hürriyet

- Traduction pour TE : Marillac

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