Istanbul : Deuxième tour de piste pour l’acquisition du raffineur Tüpras. Les candidats au rachat de 51% de la compagnie turque avaient jusqu’à ce vendredi pour déposer leurs offres. L’an dernier, une décision de justice avait annulé sa vente au russe Tatneft, via sa filiale allemande Efremov-Kautschuk, associée au turc Zorlu Holding, considérant qu’elle était « contraire à l’intérêt public ».
Conformément à ses engagements auprès du FMI, qui lui a octroyé un nouveau crédit stand-by de 8,1 milliards d’euros au printemps dernier, la Turquie poursuit son vaste programme de privatisations. L’Etat met en vente des pans entiers de son économie, de son opérateur téléphonique à la loterie nationale. Une politique volontariste qui rencontre de sérieuses oppositions.
Le gouvernement AKP, de tendance islamiste modérée, « s’est largement converti à cette politique », selon Seyfettin Gürsel, directeur du département d’économie à l’université Galatasaray, et entend la mener à terme. Le contexte est favorable et les perspectives d’entrée dans l’UE éloignent un peu plus le spectre de la crise financière de 2001. La Turquie était alors en faillite. D’ici à 2006, la privatisation de géants de l’économie nationale figure au calendrier. Hormis Tüpras, le producteur d’acier Erdemir, la firme pétrochimique Petkim, le fabricant de tabac Tekel sont concernés...
Mais le processus de privatisations se révèle plutôt cahotique. En 2004, les ventes n’ont rapporté que 950 millions d’euros au lieu des 2,5 milliards attendus. Pour 2005, le ministre de l’Industrie, Ali Coskun, espère encaisser 12,15 milliards.
Jusqu’à présent, une seule opération de grande ampleur a été réalisée : celle de Türk Telecom, remportée par le saoudien Oger Telecom pour 5,3 milliards au mois de juillet. « Il devenait urgent de réussir une vente importante, analyse Guillaume Rougier-Brierre, responsable du bureau de conseil Gide-Loyrette-Nouel à Istanbul. Il s’agissait de donner un signal clair et positif aux investisseurs étrangers. » La cession de l’opérateur avait échoué maintes fois par le passé, notamment parce que l’armée s’y opposait pour conserver ses intérêts dans ce secteur stratégique.
Privatisations annulées ou repoussées sine die, de nombreuses tentatives se sont révélées infructueuses, pour des raisons juridiques et politiques ou pour cause de corruption. Lorsque Japan Tobacco avait offert 930 millions d’euros en 2003 pour reprendre Tekel, son directeur avait qualifié la proposition du japonais d’« insulte », refusant de céder l’entreprise à des étrangers. Deux ans plus tard, l’entreprise a encore perdu de sa valeur.
Si le gouvernement est acquis aux privatisations, les partisans de l’idéologie kémaliste - la gauche nationaliste, l’administration, l’armée - y sont traditionnellement opposés. Mumtaz Soysal, ancien ministre des Affaires étrangères, préside la Fondation pour la promotion de l’entreprise publique : « Par principe, nous sommes contre. Et aujourd’hui ce sont les plus beaux fleurons de la Turquie qui sont vendus à des étrangers. Nous essayons donc de nous y opposer en intentant des procès systématiquement. » La bataille juridique est conduite par les syndicats. Ils ont obtenu gain de cause pour Tüpras l’an dernier. Deux plaintes viennent d’être déposées contre le rachat de Türk Telecom. « Et nous nous attaquerons à Erdemir aussitôt son acquéreur désigné. »
46,12% du capital du producteur d’acier doivent être vendus d’ici à la fin de l’année. Arcelor est sur les rangs. Oyak, le fond de pension de l’armée turque, s’est également porté candidat, et un consortium turc, soutenu par la puissante Union turque des chambres et des bourses de commerce, vient de se constituer pour tenter de conserver Erdemir dans le giron national. Le président de la chambre de commerce d’Ankara, a même déclaré qu’empêcher la fuite d’Erdemir, qui emploie 7 500 personnes, constituait un acte de « résistance nationale ».