Il n’est pas facile d’être Turc en Europe ; pour à peu près tous les Turcs l’héritage ottoman constitue une sorte de fardeau qu’on peut attribuer à l’habitude prise par les Européens de traiter l’Ottoman comme « l’autre ». C’est un peu la même chose dans les Balkans et les pays arabes. Mais étonnamment, cette situation change du tout au tout lorsque vous vous rendez en Israël. A la différence des descendants des Européens et des Arabes qui ont vécu sous autorité ottomane, les Israéliens évoquent toujours avec sympathie ce passé ottoman.
Durant cette semaine en Israël organisée par le Comité juif américain (AJC), nous sommes souvent tombés sur des vestiges de cette présence ottomane, et plus particulièrement dans la vieille ville de Jérusalem.
Il n’est pas, au cours des nombreuses rencontres avec les journalistes turcs, un seul intervenant qui n’ait mentionné, sans le moindre soupçon de haine, le fait que le fondateur de l’Etat d’Israël, David Ben Gourion, ait servi dans l’armée ottomane durant sa jeunesse. Alors que le Rabbin David Rosen, chargé des affaires inter religieuses pour l’AJC, louait le système ottoman du millet et notamment dans l’administration délicate de la ville de Jérusalem, le colonel en retraite Eran Lerman devait rappeler que son grand-père était citoyen ottoman, et ce, sans aucune connotation péjorative.
Les traces ottomanes en Israël devaient également nous poursuivre au-delà de cette visite. La première réaction au récit de ce voyage en trois parties qui fut publié la semaine dernière dans les colonnes de TNA vint de Vehbi Dinçerler, le coordinateur pour la coopération économique entre la Turquie et l’Autorité palestinienne. Il devait souligner combien les Ottomans avaient tenu à créer un espace de paix entres les religions et ce, non sans un certain succès dans cette partie très sensible du globe. Il donnait d’ailleurs un exemple très concret de cette politique : celui d’une inscription arabe sur la porte Khalil-Jaffa donnant sur la vieille ville de Jérusalem. « La ilahe illallah, Ibrahim Halilulah » : « Il n’y a de Dieu qu’Allah. Et Abraham est chéri d’Allah. »
C’est une expression inhabituelle pour les dirigeants ottomans qui furent également porteurs du titre de Calife, et par là, leaders de l’ensemble du monde musulman dans son intégralité. La locution naturellement employée dans tel contexte étant après « Il n’y a de Dieu qu’Allah », « et Mahomet est son prophète. » Mais sur ce portail de la ville sainte de Jérusalem, les Ottomans choisirent de la modifier afin de souligner le rôle d’Abraham comme père des trois religions monothéistes, plutôt que celui de Mahomet, prophète des seuls musulmans. Il semble qu’ils aient tenté de rassembler les trois croyances sous le chapeau d’une seule et même formule.
Après de longues années de séparation et ce, malgré une histoire commune, la Turquie moderne a semble-t-il commencé de s’intéresser à nouveau aux peuples de ces territoires par le biais de mesures sociales et économiques plutôt que politiques. Du moins est-ce ainsi que l’on peut envisager la visite de M. Abdullah Gül, le ministre turc des affaires étrangères à Erez lors du lancement / inauguration de la zone d’activités turco-israelo-palestinienne la semaine dernière (première initiative de ce genre depuis le retrait israélien de la bande de Gaza, initiative de certains milieux d’affaire turc relayée par la diplomatie d’Ankara, ndlr)... [...]
© The New Anatolian (TNA), le 05/01/2006