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Turquie - UE : et l’Eurasie ?

lundi 2 mars 2009, par Ismet Berkan, Marillac

Je ne me souviens plus du nom de la personne qui pour la première fois parlé de l’affrontement entre les « pro-Europe et les pro-Eurasie ». Toujours est-il qu’il s’est servi de cette expression, de cette opposition pour rendre compte de l’affrontement politique aujourd’hui central en Turquie, affrontement qui comprend tous les développements de l’affaire Ergenekon.

On s’est ainsi doté d’un cliché facile à utiliser et plus ou moins largement utilisé selon les bords. Je n’ai nulle intention ici de rentrer à nouveau dans l’affaire Ergenekon mais je tiens à dire la chose suivante : certains segments de la société turque qui appréhendent la perspective, même lointaine, de l’adhésion de la Turquie à l’UE et en cela la perspective de l’avènement même chaotique et aléatoire d’une démocratie véritable dans ce pays se sont mis à déclarer qu’il fallait se couper de l’Occident impérialiste pour se rattacher au trio Iran-Russie-Chine.

Je pense pour ma part que si cette idée n’avait pas été formulée par des gens sérieux, par des gens qui, à un moment ou un autre de leur carrière n’avaient pas eu à travailler sur des questions stratégiques, elle n’aurait suscité aucun intérêt, pas le moindre curiosité. Ce n’est pas qu’elle soit aujourd’hui tenue pour une hypothèse des plus sérieuses. Il n’en demeure pas moins qu’elle s’est solidement implantée dans les milieux dits nationalistes ou « pro-Eurasie ».

Cet article, je suis en train de l’écrire depuis la chambre d’un hôtel de Kazan, capitale d’une région assez proche de la zone que l’on tient pour la limite entre l’Europe et l’Asie : le Tatarstan. Si l’on se fie à la définition donnée dans le dictionnaire, on peut dire que je suis au cœur de l’Eurasie. Il y a deux jours nous étions à Moscou et nous voilà à Kazan pour une journée.

Le coïncidence de la montée des discours sur l’Eurasie et de la vague d’anti-occidentalisme, anti-américanisme en Turquie n’est pas fortuite.
Durant la double présidence Bush, les Etats-Unis ont testé de façon très insolente les limites de leurs forces. Et ils ont pris conscience de ces limites-là. Au terme de ce « test », les prix du pétrole et des hydrocarbures ont grimpé en flèche. Ce qui n’a pas peu contribué à l’enrichissement de la Russie. Pour tous ceux que gênait la perspective d’un monde unipolaire, l’enrichissement de la Russie et le retour à ses vieux rêves impérialistes leur a permis de se demander avec ferveur si on ne revenait pas à un monde bipolaire.

Crise et Eurasie

Et aujourd’hui, nous sommes entrés en crise économique globale. Si les prix du pétrole n’ont pas touché le fond, ils ont à tout le moins considérablement baissé. Pour ce qui est des produits à l’exportation, on a enregistré des baisses de prix record. Et cela n’est pas terminé. La Russie compte au nombre des pays les plus touchés : on ne peut même pas comparer la bulle russe constituée avant la crise à la bulle immobilière américaine.

Alors que les prix des hydrocarbures étaient élevés, la monnaie russe est partie vers le haut. Pour cela, on parle dans la littérature économique de « syndrome hollandais ». Le rouble s’appréciant, il est devenu particulièrement difficile d’exporter autre chose que des hydrocarbures. On ne peut d’ailleurs pas encore parler dans ce pays de système de production sophistiqué et productif.
La capacité productive de ce pays était atteinte du fait de cette difficulté à l’exportation. Mais le rouble continuait de s’apprécier. Ce qui fut à l’origine de la constitution d’une bulle. Aujourd’hui cette bulle a éclaté et le secteur privé russe déjà bien en mal de sa production se retrouve pris au piège d’une dette de 550 milliards de dollars auprès des banques étrangères.

Avec une économie russe dans cet état, le rêve d’une Eurasie, voire celui d’un monde bipolaire peut nous sembler assez risible (on pourrait bien entendu évoquer en détails les situations respectives de l’Iran et de la Chine).

On pourrait même dire que la crise économique globale a servi pour nos nationalistes de seconde chute du rideau de fer. Mais je ne vais pas les plaindre. Parce que la crise touche terriblement notre pays. Parce que notre gouvernement ne sait pas faire de politique en dehors des sentiers empruntés du populisme, qu’il ne prend aucune mesure et ne semble pas même en capacité intellectuelle d’en prendre la moindre. Nous sommes en chute libre dans cette crise et personne ne sait combien de temps encore nous allons continuer à chuter !

Cette situation jette une ombre sérieuse sur la stabilité politique de la Turquie à moyen terme, situation dans laquelle on peut voir se profiler la forme d’un fascisme.

Si du moins nous avions une opposition politique digne de ce nom, susceptible d’édifier ou d’influer sur les décisions de la majorité gouvernementale, susceptible même de présenter une alternative crédible à ce gouvernement !

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Sources

Source : Radikal, le 15-02-2009

- Traduction pour TE : Marillac

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