Chercheur au CERI (Centre d’Etudes et de Relations Internationales), directeur des cahiers CEMOTI et auteur aux éditions Eyrolles de « L’Europe avec ou sans la Turquie », Semih Vaner évoque le débat sur la Turquie. Il revient aussi sur la décision du gouvernement turc de réunir une commission mixte d’historiens sur le génocide arménien, tout en estimant que ce dossier n’est pas lié à l’entrée de la Turquie dans l’Europe.
Ces dernières semaines les polémiques sur la Turquie semblent être plus discrètes. Est-ce que cette question est liée à celle du référendum européen ?
Si on me demande mon avis, je dirais que non. C’est vrai que ce lien a été établi pendant la campagne par beaucoup d’hommes politiques qu’ils viennent du camp du « oui » ou de celui du « non ». Depuis trois semaines, je constate que ces deux questions sont plus dissociées. Le Président de la République lors de son intervention a bien tenu à le préciser. Mais la Turquie reste présente dans les esprits, tant au niveau de l’opinion publique qu’à celui des hommes politiques.
Certains estiment que si on accepte cette Constitution, la Turquie pourrait avoir dans le futur une importance disproportionnée dans les futures institutions de l’Union. Quel est votre avis ?
Evidemment, la Turquie n’est pas l’Estonie ou la Lettonie. Elle a un poids démographique considérable qui comptera si elle entre dans l’Europe. Mais je crois que l’observation que vous relayez est aussi due à une défiance qui renvoie à d’autres facteurs. Si la Turquie entrait dans l’Europe, les députés turcs au Parlement européen agiraient aussi dans le sens de leur appartenance politique. Ils seraient probablement comme des députés allemands, de sensibilité libérale ou socialiste. Donc, je vois mal comment la Turquie occuperait une place disproportionnée dans les institutions européennes.
Comment analysez-vous les résistances qui se sont exprimées en France à l’entrée de la Turquie dans l’Europe ?
Je pense que ces résistances sont motivées par des facteurs objectifs parfois légitimes. Ils concernent l’évolution démocratique de la Turquie et la question des Droits de l’homme, même si dans ce domaine le pays a enregistré des progrès qui ne sont pas à négliger. Il y a aussi la question du développement social de la Turquie. Celui-ci n’est pas celui de l’Allemagne ou des Pays-bas et c’est un euphémisme de le dire. Mais je pense qu’il y a des réticences qui sont aussi d’ordre culturel. L’Union européenne n’est peut être pas prête à la multiculturalité. Elle a peur de l’Islam et pour beaucoup d’européens, la Turquie continue de représenter beaucoup d’inconvénients.
Vous faîtes partie de ceux qui pensent que la Turquie peut être un pont entre l’Europe et le Moyen-orient ?
Il faut accueillir avec beaucoup de précautions ce genre de thèse. Il faut voir les choses avec plus de réalisme. On peut considérer que l’Espagne par exemple a accompli ce rôle entre l’Europe et l’Amérique latine. Pourquoi la Turquie ne le jouerait-elle pas vers les régions turcophones du Caucase et de l’Asie centrale ! Pour le Moyen-orient, je pense que ça aurait aussi un effet bénéfique.
Les Turcs viennent d’accepter une commission mixte composée d’historiens arméniens et turcs afin d’étudier le génocide arménien. Vous pensez que ça peut changer l’image de la Turquie en Europe ?
Je pense que tout projet qui pourrait avancer dans le sens du dialogue entre les Turcs et les Arméniens est à soutenir. Même si ce dialogue demandera sans doute beaucoup de temps, je pense que c’est très positif. Mais il faut faire attention à dissocier ces deux questions. Le dossier arménien et celui de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne sont pas liés.
Jacques Chirac il y a quelques mois avait pourtant laissé entendre que cette adhésion pourrait être conditionnée en ce qui concerne la France par la reconnaissance du génocide arménien ?
Je ne suis pas au courant de cette déclaration. Ce que je sais, c’est qu’il n’était pas favorable à l’adoption d’une loi à ce propos, et qu’il a fait savoir, il y a quelques mois, que la question concerne surtout Arméniens et Turcs.