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« Milk » de Semih Kaplanoglu

mardi 28 septembre 2010, par Emmanuel Didier

Milk est l’élément central de la trilogie entamée par Kaplanoğlu (Yumurta, Milk, Miel) et fait office de jonction entre enfance et âge mûr du personnage Yusuf, à savoir la sortie de l’adolescence. Solide sur ses jambes, le film ne se laisse pas apprivoiser facilement. Il s’agit pourtant de persévérer.

- Article original sur le site de Critikat

Yusuf vit avec sa mère dans une toute petite ville de la province d’Izmir, pas bien loin de la mer Égée : une contrée où l’on rencontre de nombreuses ruines romaines – propices à de longues scènes d’introspection – et où la coutume semble être de pendre les jeunes filles par les pieds pour les faire cracher des serpents – magnifique plan d’ouverture, mystique et fascinant. Trop conscient de son isolement, Yusuf s’échappe par la poésie en écrivant beaucoup et plutôt bien. Deux nouvelles vont l’ébranler : un de ses textes est accepté par le comité de rédaction d’une revue nationale, et une lettre le convoque à Izmir pour une visite médicale préalable au service militaire. Poèmes et armée semblent faire bon ménage dans l’esprit de Yusuf : tout autant emballé par sa publication que par sa prochaine incorporation, il cavale vers Izmir et laisse, pour un temps, son enfance derrière lui.

Tout d’abord, il y a un style, reconnaissable, celui de la langueur et la contemplation qui rappelle Nuri Bilge Ceylan. L’utilisation quasi-systématique de courtes focales le rapproche du cinéaste d’Uzak, Kaplanoğlu allant même jusqu’à en faire une condition sine qua non de chacun de ses plans. Juché au cœur de l’image, Yusuf semble se confondre dans les différentes strates du paysage qui s’étire et allonge les perspectives, la profondeur de champ le jette dans des lieux trop grands, des espaces impossibles à combler. Pourtant, il existe toujours une potentialité d’ouverture : par un jeu subtil de surcadrages, l’arrière-plan débouche systématiquement sur un ailleurs, dévoilant ainsi un champ de possibles caché derrière l’apparente inextricabilité.

D’abord assez enthousiasmant, ce parti pris peut lasser car abusivement systémique. On craint souvent l’asphyxie devant cet ordonnancement un peu trop artificiel et trafiqué pour réellement respirer – par là, il s’éloigne d’Uzak ou des Climats de Ceylan, pour qui la maîtrise du cadre n’équivaut pas à cette plastification du réel que l’on ressent sporadiquement dans Milk. Il flotte ainsi au-dessus du film comme un léger doute sur la sincérité de l’ensemble, une impression gênante mais loin d’être persistante si l’on évite d’être tatillon et que l’on se laisse accompagner par le récit.

Ce dernier s’étire nonchalamment, retardé à chaque plan, empêché qu’il est par une contemplation lascive des images. Et ce n’est pas un mal : si le cheminement du jeune Yusuf ne nous est pas complètement égal, c’est aussi parce qu’il n’est pas ostensiblement (dé)montré. En écartant d’office les explications rétrospectives et les interprétations psychanalytiques mal dégrossies entre les trois épisodes, Kaplanoğlu capitalise davantage sur les sensations latentes, les affects sans répercussion évidente sur le passé ou l’avenir. Et nous épargne ainsi un pensum bien pesant. Au contraire, Milk est une jolie ritournelle usant de son stoïcisme pour mieux disséminer, par à-coups, son venin entêtant.

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Sources

Source : Critikat

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