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Mettre fin au procès Pamuk, est-ce la solution ?

mercredi 28 décembre 2005, par Ismet Berkan, Marillac

Quotidien Radikal, le 28/12/2005
Turquie Européenne pour la traduction

Ismet Berkan, rédacteur en chef de Radikal revient en détail sur la question du procès de l’écrivain Orhan Pamuk dont l’avenir a été remis le 26 décembre dernier par la Cour de Cassation à une décision du ministère de la justice : cette jurisprudence ne concerne pourtant que les affaires dont les faits sont survenus sous le régime du précédent Code pénal. La question se pose de savoir ce qu’il convient de faire du nouveau et de ses dispositions liberticides, entrés en vigueur le 1er juin 2005, sur demande instante de l’Union Européenne.

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation (lundi 26 décembre 2005, ndlr) sur la requête déposée par le ministère de la justice est on ne peut plus clair : pour ce qui est des délits commis avant le 1er juin 205 au titre de l’article 159 de l’ancien Code pénal, la règle de l’autorisation délivrée par le ministère reste de mise. C’est à dire que la réponse du ministère dans de nombreux procès y compris celui d’Orhan Pamuk, réponse selon laquelle « il convenait de s’en référer désormais au nouveau Code pénal » n’est pas fondée.
A ce stade des évènements, dans le cadre du procès Pamuk qui connaît la plus grande médiatisation, le ministère de la justice se trouve confronté à un choix qui pourrait lui permettre d’échapper à une forte pression internationale. S’il le souhaite, le ministère peut en ne donnant aucune autorisation dans le sens d’une instruction du procès y mettre un terme définitif.
La cohérence d’une telle mesure serait certes discutable : c’est-à-dire que du point de vue des politiciens et des bureaucrates européens pour lesquels l’indépendance de la justice doit être un principe plus cher qu’il ne l’est chez nous, une intervention politique dans un procès ne devrait pas être une bonne chose. [...]
Quoi qu’il en soit, nous sommes désormais en face d’une alternative. Et nous verrons bien tous ensemble comment le ministre de la justice, Cemil Ciçek en tirera profit.

Des concepts larges et confus

Mais supposons qu’il ne délivre pas d’autorisation d’instruction et que le procès d’Orhan Pamuk n’ait plus lieu d’être, la question de l’article 301 sera-t-elle résolue pour autant ? Assurément non.
Bien, mais quel est ce problème de l’article 301 ? C’est simple : il sert à punir le délit d’« avilissement » de la « Turcité » et des institutions fondamentales de l’Etat turc.
Or autrefois, dans l’ancien Code pénal, le délit était d’insulte et d’outrage.
L’avilissement est assurément un concept plus large et plus confus que ceux d’insulte et d’outrage. Et comme le concept définissant la nature du délit a changé, il est également clair que la jurisprudence acquise n’a plus aucune valeur. C’est-à-dire qu’il n’y aura plus grand sens à considérer les décisions de la Cour de Cassation concernant l’ancien article 159.
En cherchant à réprimer le délit d’avilissement, les tribunaux tenteront de tracer une ligne imprécise entre les notions de critique et d’avilissement. Or les mêmes tribunaux avaient pris, par le passé, l’habitude de tracer une limite relativement plus précise entre ces deux notions ; et comme je viens de le dire, il existait toute une série de décisions du Juge, susceptibles d’éclairer sa lanterne. Du fait même de l’imprécision de la limite entre avilissement et critique, cet article est grandement susceptible de porter atteinte à la liberté d’expression. C’est d’ailleurs aujourd’hui un article qui la limite officiellement. Et pour cette raison, il est nullement acceptable ni pour nous, ni pour l’UE.

Jusqu’à présent, la position officielle a consisté à dire  :« attendons, nous avons besoin d’un peu de temps afin que la Cour de cassation puisse rendre une décision qui fasse jurisprudence. »

Selon moi, il est nul besoin de carte pour se rendre dans le village que l’on aperçoit : si on n’abroge pas cet article, du moins est-il urgent et nécessaire de l’amender.
C’est ce concept de « Turcité » qui est aussi problématique dans le texte de cet article. De quelle « Turcité » parle-t-on ? Supposons que je traite de fou le leader turkmène Saparmurad Niyazov aurais-je avili la « Turcité » ?

Il y a peu, dans le fil d’une conversation, le ministre de la justice, Cemil Ciçek, expliquait que de semblables articles se trouvaient dans les législations pénales de l’Italie, de la France et de l’Allemagne. C’est vrai, il y a de tels articles mais la question qui reste à poser est celle de savoir combien de procès ont été lancés au titre de ces articles dans ces pays depuis 10 ans.
Regardez plutôt chez nous : le nouveau Code pénal n’est pas entré en vigueur depuis 6 mois que nous comptons déjà plus de 70 procès, sans parler de tout ce qui se trouve en attente d’instruction.

J’ai l’impression que le gouvernement approche le sujet de manière complexée. Or il n’y a ici aucun complexe à avoir. Au final, ce gouvernement a lancé des réformes dont on peut être fier : il s’agit simplement aujourd’hui d’en compléter les lacunes. Et c’est tout.

© Radikal, le 28/12/2005 -

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