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Le procès d’Orhan Pamuk et la fierté nationale

mercredi 21 décembre 2005, par Marillac, Murat Belge

Murat Belge, professeur d’histoire et homme de lettre turc engagé depuis des décennies dans la lutte démocratique en Turquie revient sur les évènements auxquels a donné lieu l’ouverture du procès d’Orhan Pamuk à Istanbul le 16 décembre dernier.
© Radikal, le 18-12-2005
© Turquie Européenne pour la traduction

Ces derniers jours, nous avons été les témoins d’un procès qui s’est déroulé à Istanbul dans la circonscription de Sisli (le procès de l’écrivain Orhan Pamuk pour insulte à l’identité nationale turque, ndlr). Impossible de ne pas être au courant. Mais au-delà de ce procès ce sont plein d’autres choses dont nous avons pu être les témoins. Des choses qui, par ailleurs, sont bien plus intéressantes que le procès lui-même.
Parmi les choses visibles figurent inévitablement les sujets liés au fait de savoir comment ce procès a commencé et comment on en est arrivé là où nous en sommes aujourd’hui. Mais comme ce sont des thèmes suffisamment connus, il n’est pas nécessaire de s’y appesantir à nouveau. Le comportement de notre ministère de la Justice dans ce procès et dans bien d’autres qui lui ressemblent relève également des faits bien connus.

En disant la même chose de la police nous pourrions rapidement fermer ce chapitre ; mais si cet article était appelé à des poursuivre de la sorte il finirait par s’apparenter à cette histoire de Nasreddin Hoca intitulée « que ceux qui savent racontent à ceux qui ne savent pas ». C’est pourquoi aussi connus soient-ils, ces sujets méritent qu’on en dise quelque chose.

Vendredi matin, tous les journaux évoquaient « l’impuissance » de la police. Ce qu’il ressortait du traitement de l’information par diverses chaînes de télévision n’était guère différent. Soit, mais la police a-t-elle été véritablement « impuissante » ? Cela n’est tout simplement pas possible. La police est dotée de suffisamment de moyens mais moralement - comme cela a été le cas à de nombreuses reprises -, elle s’est retrouvée plus proche des agresseurs que de ceux qu’elle était censée protéger. Lorsqu’il est question « des agresseurs fascisants », la police turque se mue immédiatement en un « parangon de tolérance ». A commencer par un chef de la sécurité de Sisli insensible à tous les avertissements, la police a répété ce même comportement et son attitude n’a pas peu contribué à la visibilité de « ce qui devait se voir » dans le cadre de ce procès.

Bien, mais qu’a-t-on vu au juste ? Je pourrai le décrire de la manière la plus brève qui soit : le pays dont rêvent les nationalistes turcs !
Dans ce pays, il est interdit de dire des choses que les nationalistes ne jugent pas convenables.
S’il y a un prix à la violation de leur interdiction, il est clair qu’il ne peut être laissé à l’évaluation des tribunaux ni de toute institution porteuse d’une sorte « d’objectivité ». Parce que dans cette situation concrète, il est évident que ceux qui se jettent sur le prévenu, qui attaquent son véhicule au moyen de pierres ou de tout autre instrument, ou alors qui le rouent de coups de poing, que tous ceux-là ne sont pas favorables à l’idée de laisser le sort de leur propre cause à un juge. Ceux-ci savent le vrai et administrent d’eux-mêmes leur propre justice.
Ces méthodes que nous qualifions de lynchage nous confronte à des événements de plus en plus fréquents depuis quelque temps de la part de personnes dotées d’une telle mentalité.
D’après ce que j’ai pu comprendre des témoins sur place ou des télévisions, ils n’étaient d’ailleurs pas nombreux, juste une « meute » de 40 à 50 personnes. Parmi eux des avocats ayant revêtu la robe du barreau.
Et puis bien évidemment, il y a toutes ces réalités du pays qui apparaissent d’autant plus qu’elles ne sont pas visibles. Et par exemple la société civile démocrate qui aurait pu se rendre au procès pour manifester son soutien et sa solidarité avec un écrivain jugé pour avoir exprimé ses idées. Il n’y a que Yachar Kemal qui ait fait le déplacement pour souligner que les autres ne l’avaient pas fait. Si les démocrates de la société civile turque n’étaient pas présents, il y en avait en provenance d’Europe. Et leur présence, en particulier par les extrémistes en robe d’avocat, a été maudite comme une « ingérence dans les affaires de la Justice turque indépendante ». Nous avons donc pu être les témoins de la façon dont pourrait se comporter cette frange d’extrême droite dans le cadre d’une Turquie complètement indépendante, et débarrassée de tout observateur européen.

Mais puisqu’ils ont fait le déplacement, ne leur épargnons pas les bienfaits de la traditionnelle hospitalité turque ! C’est avec cette exigence et même sans trop connaître de langue étrangère mais dans un style explicitement porteur de leurs intentions qu’ils se sont se mis à crier des « p... » et autres formules bien senties, ou bien en dépassant le seul stade de la vocifération qu’ils se sont mis à utiliser leurs poings, en frappant au passage des observateurs étrangers à leur portée. Rien n’a manqué à leur démonstration.
Quant aux instigateurs de ce spectacle, il est certain qu’ils dépassent de beaucoup le groupe de 40 à 50 agitateurs qui s’étaient rendus sur place. Ceux qui ont le pouvoir de telles choses, ceux qui préparent la base, qui l’encouragent et la lancent ne sont pas dépourvus d’immenses ressources.

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