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« Les Trois Singes »

lundi 26 janvier 2009, par Mylène Griess

L’incommunicabilité n’est pas un crime mais un composant inéluctable des relations humaines, nous avait déjà dépeint Nuri Bilge Ceylan dans ses précédents films. Et les mensonges, les non-dits, les arrangements immoraux, tout cet « hors-cadre » qui nous envahit,sont autant de barrières supplémentaires entre les êtres, nous conte-t-il dans Les Trois Singes.

Trois protagonistes donc, un mari, sa femme et leur fils, et un trouble-fête, homme politique en mal de réélection, évoluent dans des compromissions, se mentent et se trompent.
Ceylan offre une mise en scène toute en non-dits, disséminée dans le hors-cadre : l’accident qui inaugure le film n’est pas montré mais la bande-son nous l’indique, l’assassinat de l’homme politique est scrupuleusement absent mais la scène précédente qui nous montre Hatice le suppliant de ne pas la quitter est filmée de loin, comme si quelqu’un - le futur assassin - se cachait dans les buissons. De nombreuses scènes ne débouchent sur aucune résolution mais font se poser d’autres questions, d’autres dénouements cachés.

Cadrages et esthétisme

Les gros plans, l’omniprésence de la sueur sur les visages des protagonistes, ces gouttelettes qui serpentent sur des faces lugubres et des teintes ocres suggèrent le désarroi des personnages.

Chez Ceylan, certaines scènes sont d’un esthétisme fulgurant (il est aussi photographe bien sûr) : qu’elles se situent dans la mise en scène proprement dite et cet art du cadre et du placement des personnages et des objets, comme dans la scène où Hatice git sur le lit conjugal, agressée par son mari sorti de prison, un sein dénudé dans le cadre à droite et son visage absent, vidé, dans celui de gauche, ou qu’elles soient fabriquées et retravaillées notamment dans les couleurs grâce à l’étalonnage. Ceylan a cherché à désaturer les couleurs : l’effet est magnifique. Les cieux sont encore plus sombres et menaçants, les visages plus obscurs.

Fidèle depuis Les Climats à la Haute Définition, l’auteur n’a jamais autant travaillé sur les images et les sons en postproduction que dans ce film, chassant le naturel sans jamais tomber dans l’onirisme, gardant toujours une prise importante dans le réel, portraitiste fidèle d’âmes perdues, qui se cherchent, dans un monde contemporain tel qu’il le perçoit.
Une œuvre majeure dans le parcours d’un cinéaste étonnant et exigeant. Du grand cinéma.


- Pour aller plus loin :

"Ce cinquième long-métrage réalisé par Nuri Bilge Ceylan, seul cinéaste turc à être sélectionné à trois reprises en compétition au Festival de Cannes, marque un tournant dans la filmographie de son auteur et annonce une phase de maturité.

Ayant désormais sa place parmi les réalisateurs les plus appréciés des cinéphiles du monde entier, Ceylan abandonne, en effet pour la première fois, le cocon confortable de la famille et des proches, pour nous embarquer dans un fait divers qui met en scène des personnages bien plus profondément ancrés qu’à son habitude dans la réalité sociale, culturelle et politique de la Turquie contemporaine. L’histoire qu’il nous raconte, banale, ne connaît pas hélas de frontières : un homme aisé et influent, ayant des ambitions politiques, renverse et tue un homme accidentellement. Il demande alors à son chauffeur de se déclarer coupable, moyennant finance, pour aller purger quelques années de prison à sa place…

Ce scénario qui a tout d’une trame policière ou d’un drame familial, est mise en scène avec brio dans le style épuré qui constitue la signature de N. B. Ceylan dont le souci esthétique, poussé ici d’un cran, nous propose des images d’un Istanbul insoupçonné, presque irréel mais dont le ciel et la mer sont en parfaite harmonie avec les tempêtes intérieures qui ravagent les personnages, toujours observés à la bonne distance et épiés à chaque instant avec une attention sans complaisance…"

par Mehmet Basutçu - Centre Culturel Anatolie

Paris, 13 janvier 2009

- Dossier de presse :

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