14 Janvier 2010 Par Clément Girardot
Edition : Istanbul (not Constantinople)
Depuis mars 2009, Raffi Hermonn Araks est l’un des six arméniens élus comme conseiller municipal à Istanbul. Journaliste aux multiples casquettes et au parcours international, il est l’un des pionniers du rapprochement turco-arménien. Revenu en 2005 en Turquie après 25 ans d’exil, il se consacre actuellement au sauvetage des Îles des Princes, lieux de villégiature historique des minorités stambouliotes.
Posées à quelques encablures d’Istanbul dans la Mer de Marmara, les Îles des Princes sont un archipel de neuf îles dont cinq sont habitées. Lieu d’exil des princes byzantins en disgrâce, leur calme et leur beauté ont attiré la bourgeoisie stambouliote dès le XIXe siècle, principalement issue des minorités juive, grecque ou arménienne. Après le départ d’une grande partie de ces communautés au XXe siècle, des migrants des quatre coins de la Turquie sont venus s’installer sur les îles. Ils cohabitent bon an mal an avec les anciens habitants, transformant ce territoire en une Turquie miniature : « C’est le laboratoire d’Istanbul et de la Turquie, affirme le conseiller principal du maire des Îles, Raffi Hermonn Araks. Si dans les Îles des Princes, les affaires vont mal, on peut dire que dans toute la Turquie les affaires vont mal. »
Né en 1958, il connaît ces îles depuis sa plus tendre enfance. Kinaliada est l’île des arméniens et à l’époque les minorités se sentaient beaucoup plus à l’aise : « Aujourd’hui, on dit : « Tout le monde vit bien à Kinaliada, les arméniens avec les turcs, c’est beau ! » Mais en-dessous on sent qu’il y a des injures, des malhonnêtetés, des gens qui attendent qu’un arménien meure pour rentrer dans sa maison. » Les nouveaux habitants turcs viennent de la région de la mer Noire, ce sont souvent des descendants de grecs convertis à l’islam. Ils sont très nationalistes.
Améliorer la cohabitation dans les îles est un objectif du conseiller municipal du parti CHP (gauche laïque) qui a aussi été un pionnier de la réconciliation entre les peuples turcs et arméniens lors de ses années d’exil en France et en Arménie. Croyant, membre de l’Église apostolique arménienne, il se déclare à la fois « œcuménique » sur le plan religieux et « internationaliste » au niveau politique.
Militant dans des mouvements culturels associés à la gauche démocrate turque, il part en France à l’âge de 21 ans, peu de temps avant le coup d’État militaire du 12 septembre 1980 : « Lorsque j’ai entendu cette nouvelle, j’étais démoralisé car jusqu’à une date indéterminée je ne pouvais pas rentrer en Turquie. Malgré les risques, j’ai passé mes meilleures années, mes meilleures aventures et mes meilleurs amours avant mon départ de la Turquie. Ça, je ne peux pas l’oublier et c’est grâce à cela que j’ai pu lutter durant ma vie contre les préjugés sur les Turcs et la Turquie, affirme-t-il avec émotion. Ce ne sont pas les Turcs qui ont massacré les Arméniens, c’est le Comité Union et Progrès ! (Parti au pouvoir en Turquie durant la Première Guerre Mondiale et responsable du génocide des arméniens). »
Entre 1987 et 1992, il part en Arménie pour entreprendre des études de cinéma et travailler comme journaliste. C’est alors que sa double culture va lui permettre de jouer un rôle de conseiller auprès du ministère des affaires étrangères de la nouvelle Arménie indépendante. De retour à Paris comme correspondant pour des journaux turcs et arméniens, il œuvre de 1994 à 2005 avec des amis Turcs de Turquie (dont Ragep Zarakolu,directeur des Éditions Belge) et Arméniens de la diaspora (dont Jean-Claude Kebabdjian, président du Centre de Recherches sur la Diaspora Arménienne de Paris) au rapprochement des deux pays ennemis par la voie de la « diplomatie populaire », en initiant le débat dans la société civile. De colloques en rencontres, le dialogue s’établit peu à peu malgré les pressions des nationalistes : « Aujourd’hui, les associations arméniennes du monde entier invitent les différents intellectuels turcs pour des conférences, ils mangent ensemble... Il y a quinze ans c’était inimaginable ! »
En 2005, Raffi Hermonn Araks est revenu sur la terre de ses origines. Alors que les deux pays viennent de signer un accord historique le 10 octobre dernier à Zurich, il veut à présent favoriser les aller-retours humains et culturels entre la diaspora et la Turquie. En attendant l’été prochain, où tous ces Arméniens d’Istanbul et d’ailleurs se retrouveront sûrement sur les Îles des Princes.