Istanbul est une vraie vedette de cinéma, capable de sauver les pires films (avez-vous vu Tintin et le mystère de la « Toison d’or » ?). Quand un cinéaste lui offre un rôle nouveau, dans son registre, il ne faut surtout pas bouder son plaisir.
Un film de : Pelin Esmer
Avec : Nejat Isler, Mithat Esmer, Laçin Ceylan, Tayanç Ayaydin, Savas Akova, Kutay Ülkü...
Distributeur : Arizona Films
Genre : Drame
Pays : Turquie, France, Allemagne
Durée : 1h50
La grande ville transcontinentale est comme la partenaire de Mithat Bey, le personnage central de ce premier film de fiction. A eux deux, la cité-palimpseste et le vieil homme incapable de se débarrasser de ses souvenirs, ils forment un duo mélancolique, parfois malicieux, obsédé par le temps qui passe et les traces qu’il laisse.
La réalisatrice Pelin Esmer avait déjà tourné un documentaire dont le personnage principal était Mithat Esmer, son oncle, ingénieur à la retraite manifestement issu d’une famille de renom. Elle lui a demandé de se faire acteur et a inventé une histoire autour de cet homme qui accumule dans un bel appartement d’un vieil immeuble du centre d’Istanbul des « collections » que ses proches, ses voisins, arrivent mal à différencier d’une décharge. Journaux, appareils électriques, cartes postales, livres de valeur montent en pile sous les hauts plafonds, jusqu’à former un labyrinthe dans lequel se perdent les rares invités autorisés à franchir le seuil.
Les premières séquences montrent Mithat Bey dans ses pérégrinations à travers la ville. Au bazar, il marchande âprement des objets insignifiants (il est obsédé par l’exactitude des pendules bon marché qu’il ne cesse de rapporter à l’horloger). Les commerçants le traitent avec un mélange d’exaspération et d’affection. On est encore au seuil de la fiction. Le cas de Mithat Bey, dont le comportement obéit à une rationalité irréfutable (le vieil homme peut justifier la présence du moindre objet dans son appartement), est étudié avec une tendre attention.
Les attaques conjuguées des services de l’urbanisme, appelés à la rescousse par les voisins exaspérés par l’accumulation de vieux journaux dans le couloir, et de l’asthme obligent Mithat Bey à faire appel aux services d’Ali, le concierge de l’immeuble. Entre le vieux bourgeois obsédé par la survivance de ce qui fit son univers et le jeune père de famille qui ne pense qu’à améliorer sa condition matérielle s’engage un dialogue étrange.
Mithat Bey oblige Ali à parcourir Istanbul en suivant exactement ses traces, en lui écrivant presque les dialogues qu’il doit prononcer à chaque étape. C’est une espèce de metteur en scène à qui la réalité de la ville résiste. Ali est partagé entre la tentation de profiter du grand âge de son nouvel employeur et la fascination que lui inspire un passé qu’il entrevoit pour la première fois.
Le statut de Mithat Esmer, à la fois modèle et interprète, donne un ton très particulier à ces Collections. Le vieil homme n’est pas le plus expressif des acteurs, mais la raideur digne de son maintien, son ton impérieux, les éclairs de désarroi qu’il laisse paraître lorsqu’il est confronté à l’adversité (il est question de démolir l’immeuble dans lequel il a accumulé ses collections) lui permettent de tenir son rang face à l’excellent comédien qui incarne Ali.
Une séquence dans un cimetière ottoman, l’irruption d’un neveu cupide, les souvenirs de jeunesse égrenés par le collectionneur viennent nourrir ce film contemplatif, qui fixe une image d’Istanbul pour autant qu’il soit possible de saisir ce monstre magnifique qui ne cesse de muer.