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Le PKK en France : de la bienveillance à la criminalisation ?

jeudi 29 janvier 2009, par Mehmet Akkus

Deux récentes affaires, à Bordeaux et à Marseille, concernant des militants du PKK (Parti de Travailleurs du Kurdistan, considéré comme une organisation terroriste par l’UE et les USA), évoquées de manière assez sommaire dans les médias, pourraient annoncer le début d’un changement radical des autorités françaises vis-à-vis de ce groupe kurde.

Commençons par une toute autre affaire qui, elle, s’est déroulée dans la région parisienne et qui a débuté au cours de l’été 2006. En juillet, deux individus d’origine kurde se rendent dans un bureau de change parisien avec la somme de 200 000 euros en dollars américains (une analyse scientifique des billets révèlera plus tard, des traces d’héroïne et de cocaïne). Une enquête est aussitôt lancée pour prendre fin en février 2007. 13 personnes seront mises en examen, dont 12 Kurdes et un Australien, soupçonnées d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, blanchiment et financement du terrorisme en bande organisée.

Coup de filet de 2007

Parmi les personnes mises en garde à vue, de hauts cadres du PKK : Riza Altun, responsable au niveau européen de l’organisation, Nedim Sellem, considéré comme le trésorier du PKK en Europe et Canan Kurtyilmaz, présentée comme la numéro 1 de l’organisation terroriste en Europe, arrêtée en Belgique le 5 février, puis livrée à la France.
Ils sont tous placés dans un premier temps en détention par un juge des libertés et de la détention, avant que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ne décide le 23 février 2008 de les remettre en liberté mais avec un contrôle judiciaire comprenant une interdiction de quitter la région parisienne.

A partir de là, l’affaire se complique quelque peu : tout d’abord, on apprend que plusieurs militants arrêtés ont déclaré collaborer régulièrement avec les services du contre-espionnage français. Ils précisent qu’ils leurs communiquaient des renseignements sur les collectes de fond effectuées en France et sur l’organigramme du PKK en France. Ces faits ont ensuite été confirmés par la DST. Puis survient la fuite de Riza Altun vers l’Irak. En liberté surveillée, M. Altun trouve le moyen de se rendre en Autriche, où il est interpellé pour être relâché une journée plus tard. Il prend aussitôt la direction de l’Irak. Enfin, c’est Nedim Seven, qui a réussit à fuir la France pour se rendre en Italie. Moins chanceux, il est arrêté à l’aéroport de Rome, en possession d’un faux passeport diplomatique, juste avant son départ pour l’Arménie. M. Seven a été livré en France le 19 juin 2007, pour être placé en détention provisoire.

L’affaire suit son cours et aucun jugement n’a encore été prononcé.

Les arrestations de Marseille

Plus récemment, sept personnes ont été interpellées le 14 janvier 2009, à Marseille dans le cadre d’une opération de policiers antiterroristes contre des militants séparatistes kurdes du PKK, soupçonnés de racket, dans le cadre d’une opération anti-racket. Ces personnes sont suspectées de tentatives d’intimidation, accompagnées dans certains cas de violences contre des membres de la communauté kurde à Marseille aux fins d’extorsions de fonds. L’opération a été déclenchée dans le cadre d’une enquête préliminaire du parquet antiterroriste de Paris, menée par des policiers de la sous-direction antiterroriste.

Le jugement sur l’affaire de Bordeaux

Rappelez-vous. Au printemps 2007, à Bordeaux, de jeunes Kurdes, proches du PKK, lancent des cocktails molotov contre une association culturelle et deux cafés fréquentés par la communauté turque. La 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris vient de rendre son jugement : Des peines de prison fermes et une interdiction définitive du territoire français ont été prononcées à l’encontre de onze jeunes Kurdes. Lors du procès, le procureur soulignait le caractère terroriste du PKK et que les jeunes avaient une parfaite connaissance de ses enjeux idéologiques.

Financement du PKK : de la bienveillance à la criminalisation ?

Le financement du PKK se fait en grande partie, à partir des pays européens à forte communauté kurdes (Allemagne, France, Belgique, Suède). Concernent la France, les différentes associations culturelles et autres amicales kurdes ont joui pendant longtemps d’une relative bienveillance des différentes autorités et d’une grande marge de manœuvre dans leurs différentes activités de financement du mouvement en Turquie. Dans leurs différentes sources de financements, les militants du PKK ont mis en place un impôt révolutionnaire, collecté plus ou moins volontairement auprès des membres de la communauté.

Certaines associations, encore aujourd’hui, ne cachent pas leur soutien au PKK. Et derrière un pacifisme de façade, alimentent en toute légalité, une organisation considérée comme terroriste par l’UE, les autorités françaises préférant laisser faire afin de s’assurer le calme « politique » de la communauté kurde en France.

Les temps changent. Il semblerait que la liberté d’action qu’avaient ces associations, paraissent, non pas révolu, mais en grande partie limitée. Les affaires de la région parisienne, de Bordeaux et de Marseille, commencent à marquer les esprits de la communauté kurde de France.
Le fait que des personnalités dont les activités étaient connues de tout le monde, soient du jour au lendemain considérées comme des criminels, déchaînent les passions et les inquiétudes. C’est ainsi, que lors de la manifestation de Marseille, le 14 janvier dernier, les slogans de jeunes Kurdes étaient d’une grande violence : « arrêtez de terroriser la communauté kurde », « la Turquie et la France terrorisent les Kurdes », ou bien « la France : le tâcheron de la Turquie ».

La très officielle Fédération des organisations kurdes, va même jusqu’à demander à la France de : « de changer de politique et d’arrêter de criminaliser les Kurdes » et affirme : « En terrorisant les Kurdes, la France devient l’exécuteur des basses œuvres demandées par la Turquie ».

Sarkozy et Erdogan : même combat ?!

Le changement de position des autorités françaises est singulier, lorsqu’on sait les rapports de méfiance qu’entretiennent Messieurs Erdogan et Sarkozy. Serait-ce peut-être que leurs relations ne sont finalement pas aussi mauvaises qu’on veut bien nous le faire croire et que les intérêts mutuels dans certains domaines, méritent bien des concessions de part et d’autre ?

Les différents crises internationales (Géorgie, Palestine, énergie, Iran), ont démontré à ces deux chefs d’Etat, qu’ils avaient plus intérêt à s’entendre qu’à se défier perpétuellement s’ils voulaient continuer, comme chacun le souhaite ardemment, jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale. Depuis sa prise de fonction, le président Sarkozy n’a pas non plus caché sa grande satisfaction envers l’action de la diplomatie turque et n’a pas manqué de le faire savoir, notamment lors de la visite du Président Gül en Arménie, de la participation turque à l’union des pays méditerranéens, de l’efficacité de sa médiation entre Israël et la Syrie.

Dans ce contexte, on comprend que le PKK ne doit pas peser lourd. Nous avons vu, dans un passé récent, que les membres de l’ETA avaient subi de sévères revers en France et ceci, dans le cadre d’une collaboration poussée avec les autorités espagnoles. Si les autorités françaises décidaient de mener la même collaboration avec la Turquie, il y a fort à parier que les événements de ces derniers jours, ne seraient qu’un début.

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