La perte de marchés à l’export pourrait aggraver la situation de travailleurs déjà précaires.
Tout miser sur le haut de gamme, sur l’innovation, sur un système de production hyperflexible, capable de répondre au plus vite à la demande des clients. Voilà déjà plusieurs années que l’industrie turque du prêt-à-porter et du textile a décidé de copier le modèle de production de l’industrie de l’Union européenne. Histoire d’anticiper les effets de la fin des quotas d’importation de textile, bien entendu. Mais, surtout, de faire face aux importations des produits en provenance de Chine. Quatre mois après la fin des quotas d’importation de textiles, les professionnels du secteur turque sont inquiets.
10 heures par jour, 7 jours sur 7. Sixième producteur de coton, la Turquie possède une industrie de textile, de confection et d’habillement qui encaisse le contrecoup de la fin de l’accord multifibre depuis le premier janvier 2005. Ce secteur, qui représente 10 % de la production nationale, fait travailler plus de 2,5 millions de personnes, soit plus de 20 % de sa population active. Il est désormais touché par l’explosion des exportations chinoises un peu partout à travers le monde. Et en Turquie l’industrie de la confection est sans aucun doute une des branches du textile qui souffrent le plus. Ses exportations ont chuté de plus de 10 %. Sur les trois premiers mois de l’année, les produits exportés ont en effet chuté de plus de 500 millions de dollars. Or le textile-habillement représentait 32 % des exportations nationales (soit 15 milliards de dollars) en 2003, la Turquie détenant 3 % des parts du marché mondial. Principal débouché des ateliers turcs, l’Union européenne, avec laquelle la Turquie est liée depuis 1996 dans le cadre d’une union douanière, et dont elle est le deuxième fournisseur (9,6 milliards d’euros en 2003) derrière la Chine.
Une poursuite des pertes des parts de marché à l’international risque donc d’avoir de sérieuses répercussions sur l’économie turque. Actuellement, seuls 500 000 employés du secteur bénéficient d’une protection sociale. Le reste ? Deux millions de personnes qui travaillent sans être déclarées, pour la plupart des femmes, qui triment plus de 10 heures par jour et 7 jours sur 7.
A Istanbul, à Ankara, les représentants les plus optimistes de ce secteur, soutenus par le sous-secrétariat au Commerce extérieur, expliquent avec optimisme : « L’industrie turque du textile devra se concentrer sur les produits de luxe, elle devra réduire les coûts des matières premières, notamment du coton, produire en série et réduire les délais de livraison, investir sur la recherche et développement pour créer de nouvelles marques, adopter les technologies modernes... »
Exportations en baisse. Les autres, à l’instar de Suyleyman Orakcioglu, dirigeant de l’Association turque des exportateurs de textile et de confection, pointent les derniers rapports en date, notamment ceux de l’OMC ou de l’OCDE : « Ces deux institutions évaluent à 25-30 % la baisse de nos exportations en fin d’année. Je suis plus optimiste, mais si les gens ne s’adaptent pas nous pourrions avoir un gros problème. » Et de poursuivre : « 100 000 personnes pourraient perdre leur travail dans le secteur, sans compter les quelque 150 000 à 200 000 emplois induits. » Dirigeant d’une PME d’habillement à Istanbul, Semaeddin Ozdeniz conclut, dépité : « Pékin soutient son industrie. Alors que le gouvernement turc ne fait rien à l’exception de déclarations futiles. »