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L’armée turque remporte une bataille

dimanche 24 janvier 2010, par Delphine Nerbollier

Le Temps.ch

La Cour constitutionnelle annule la réforme phare du gouvernement islamiste modéré de Recep Tayyip Erdogan qui permettait de juger en temps de paix des militaires dans des tribunaux civiles

Le gouvernement turc est-il en train de perdre son bras de fer contre l’armée ? Il vient en tout cas d’encaisser un sévère uppercut en voyant sa réforme phare de 2009 annulée par la Cour constitutionnelle. Jeudi, les juges ont estimé contraire à la Constitution la loi permettant de juger, en temps de paix, des militaires devant des tribunaux civils, pour des crimes commis contre la sécurité nationale. Cette réforme avait permis de poursuivre toute une série d’officiers soupçonnés d’appartenir au réseau ultranationaliste Ergenekon et de fomenter des actions contre le gouvernement islamiste modéré. Dernier en date, des officiers de la marine ont été mis en cause dans le cadre de l’opération « Cage » visant des minorités chrétiennes et des documents habituellement inaccessibles ont pu être consultés dans des archives militaires.

« Mini-paquet de réformes »

L’an dernier, l’Union européenne avait salué cette volonté d’Ankara de réduire l’influence d’une armée à l’origine de quatre coups d’Etat. La réforme votée en juin avait toutefois soulevé la polémique auprès du parti kémaliste du CHP, virulent opposant au gouvernement et proche des militaires, qui avait porté l’affaire devant la Cour constitutionnelle.

« Je ne m’attendais pas à une telle décision, a déclaré Egemen Bagis, ministre chargé des Affaires européennes. Elle va retarder notre travail qui consiste à hausser les standards démocratiques du pays dans le cadre du processus européen. Cette décision montre que la Constitution est trop étriquée pour la Turquie. »

Rédiger une Constitution « civile » à la place de celle héritée du coup d’Etat de 1980 et affaiblir durablement l’armée sont parmi les objectifs du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002. Mais sans soutien de l’opposition qui craint la dislocation de l’Etat laïc, ce vœu est resté pieux. Acculé, le gouvernement, souhaite désormais présenter au parlement un « mini-paquet de réformes démocratiques » avant de s’en remettre au peuple par référendum. Jouer le peuple contre l’armée, la tactique est osée, mais le gouvernement table sur l’érosion du soutien populaire dont souffrent les militaires depuis deux ans.

Hasard ou non, la décision de la Cour constitutionnelle est tombée au lendemain d’un nouveau scandale frappant l’armée. Le quotidien Taraf, spécialisé dans la divulgation de grosses affaires, a révélé mercredi, sur la base d’un dossier de 5000 pages, l’existence d’un projet de coup d’Etat élaboré par trois généraux aujourd’hui à la retraite. Nommé balyoz (« masse ») et préparé en 2003, il prévoyait de poser des bombes dans deux mosquées importantes d’Istanbul, de faire monter la tension avec l’aviation grecque, d’organiser des rassemblements de défense de la République et de multiplier des attaques contre des musées stanbouliotes. Ce plan aurait même été présenté à une assemblée de 162 militaires, dont 29 généraux.

Paysage médiatique divisé

L’état-major a qualifié ces accusations d’« inacceptables » et assuré que l’assemblée en question était en réalité un « séminaire » visant à « entraîner les militaires » et au cours duquel aurait été établi « un scénario prenant acte d’une tension croissante » dans le pays. Simple exercice donc ? « Personne ne peut avaler ce numéro », estime Tamer Korkmaz, du quotidien pro-gouvernemental Yeni Safak.

Ce nouveau scandale divise le paysage médiatique turc. Selon Taraf, les militaires auraient établi une liste de 137 journalistes prêts à coopérer avec l’armée en cas de coup d’Etat et une autre de 136 personnes qui auraient pu être arrêtées. De même, quelque 200 000 opposants auraient pu être séquestrés dans des stades d’Istanbul. Ces accusations ont créé le trouble. Les médias et les journalistes désignés comme de potentiels soutiens de l’armée appelaient vendredi à la prudence dans la lecture de ces documents à la très forte odeur de soufre.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/545...e-11df-820c-743ddab9ef3c

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Sources

Source : Le Temps, 23.01.2010, Par Delphine Nerbollier, Istanbul

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