Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a renontré mercredi le chef du principal parti kurde, un signe de plus de la volonté de trouver une issue dans le sud-est. Reportage à Diyarbakir
Le climat a changé à Diyarbakir. Dans la principale ville kurde du sud-est de la Turquie souffle un vent d’espoir rarement perçu ces dernières années. Les représentants du parti pro-kurde DTP (Parti pour une société démocratique), qui compte 21 députés à Ankara et 98 municipalités, osent même se déclarer « optimistes ». « Les événements actuels sont positifs, confirme Abdullah Demirbas, le maire de la municipalité de Sur, au centre-ville de Diyarbakir. Malgré les nombreuses difficultés, je pense que nous allons vers une solution à la question kurde. Toutes les conditions sont réunies : le peuple veut une solution, le PKK (ndlr : Parti des travailleurs du Kurdistan) aussi, la société civile, nos voisins du Moyen-Orient, l’Union européenne et les Etats-Unis. C’est une occasion historique qui se présente à nous, mais pour cela nous avons besoin de volonté politique. »
« Occasion historique »
Le maire de Sur n’a pas toujours été optimiste. Et pour cause. Cet homme politique est poursuivi dans le cadre de 23 procès pour soutien à une organisation terroriste, à savoir le PKK, et pour avoir utilisé la langue kurde dans le cadre de ses activités de maire. Avant d’être réélu en mars, il avait même été démis de ses fonctions. Mais ces dernières semaines, le ton a changé à Ankara. Au printemps, le président de la république, Abdullah Gül, a évoqué une « occasion historique » pour résoudre une question qui a fait près de 40 000 morts en trois décennies. La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur a par ailleurs annoncé la volonté du gouvernement de trouver une solution par « plus de démocratie, de libertés et de droits ». Une annonce destinée à couper l’herbe sous le pied du leader du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis dix ans et qui dévoilera autour du 15 août une feuille de route pour résoudre la question kurde.
Enfin, mercredi, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a officiellement rencontré à Ankara le chef du DTP, Ahmet Turk, pour la première fois depuis l’entrée de ce parti au parlement en 2007. Le premier ministre avait jusqu’à présent rejeté toute rencontre tant que le DTP refuserait de qualifier le PKK de « terroriste ». « C’est une rencontre très importante qui a eu lieu », a estimé hier Recep Tayyip Erdogan, qui a confirmé la préparation d’un plan de paix. « Je crois que cette rencontre va accroître l’espoir pour l’avenir. Notre peuple veut l’harmonie, l’union et la solidarité. Il ne veut plus que les mères versent de larmes, il ne veut plus que le sang coule. »
Ankara « sincère »
A Diyarbakir, ville d’un million et demi d’habitants où le taux de chômage atteint les 60% mais qui s’est fait un nouveau visage grâce au soutien de l’Union européenne, l’espoir est perceptible. « Le gouvernement me semble sincère et déterminé, confirme Galip Ensarioglu, président de la Chambre de commerce. Les déclarations récentes signifient que l’idéologie officielle du pays va changer. Nous attendons maintenant du courage et de la détermination dans la mise en application. »
Changements constitutionnels, enseignement du kurde à l’école primaire, le gouvernement a donné très peu d’indices sur ses intentions à venir. A Diyarbakir, en revanche, on planche sur le sujet depuis longtemps. Ainsi, Galip Ensarioglu considère que la solution réside dans le développement économique de l’est de la Turquie où vit la majorité des 12 millions de Kurdes du pays, dans davantage de droits culturels et de libertés et dans un dialogue avec le PKK, qui a pris les armes contre Ankara il y a vingt-cinq ans. « Il n’y aura pas de solution à la question kurde si l’un de ces trois points est mis de côté », estime-t-il.
Au sein du DTP, un parti qui a renforcé ses positions dans la région lors des municipales de mars, on énumère également les demandes urgentes : mettre un terme aux poursuites judiciaires contre les représentants des Kurdes, « présenter des excuses comme l’a fait la France envers les Algériens », « ouvrir la porte aux représentants kurdes », à savoir le DTP mais aussi Abdullah Öcalan. Enfin, « arrêter les opérations militaires » qui se poursuivent dans le nord de l’Irak et en Turquie. « Tant que nous continuerons à enterrer nos jeunes, il ne sera pas facile de résoudre la question », souligne Firat Anli, le patron du parti DTP à Diyarbakir.
L’inconnue Öcalan
Du côté des plus radicaux, on juge en revanche avec suspicion ces récents développements. C’est le cas d’Arsin, une jeune femme de 22 ans, au visage romantique cerné de longs cheveux bruns bouclés. A l’âge de 12 ans, elle s’est engagée auprès du PKK dans le nord de l’Irak pour « défendre les droits des Kurdes ». Après huit années passées à vivre « dans la nature », « en toute mobilité » avec ses « compagnons », elle a été dénoncée et arrêtée par la police turque avant de passer quatre années en prison. Aujourd’hui, de retour à Diyarbakir, « une ville en résistance », elle n’envisage aucune solution sans discussion ouverte avec le PKK et avec son leader, Abdullah Öcalan. « Personne ne descendra de la montagne tant qu’il restera emprisonné. »