C’est, pour une fois, sur le terrain politique que la Turquie a lancé les grandes manœuvres pour tenter de trouver une issue au conflit qui sévit depuis 1984 entre l’armée et la rébellion armée du PKK. Boycotté depuis 2007 par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, le dirigeant du parti kurde (DTP), Ahmet Türk, a été reçu mercredi 5 août à Ankara, par le premier ministre. A l’issue de la rencontre, saluée à travers le pays comme une avancée significative vers un règlement de la question kurde, ce vétéran de la lutte politique s’est déclaré « plein d’espoir ».
A l’approche du 25e anniversaire du déclenchement de la guérilla, le leader emprisonné du PKK, Abdullah Ocalan, a précipité les événements en annonçant, par l’intermédiaire de ses avocats, son intention de publier, le 15 août, une « feuille de route » pour une « paix durable » avec la Turquie.
Le gouvernement, contraint de réagir, a lancé une série de consultations à tous les niveaux de l’Etat. Les députés kurdes ont rencontré les dirigeants de la Tüsiad, l’association patronale. Puis l’Académie de police a organisé une conférence sans précédent sur « la question kurde » à laquelle participaient douze intellectuels parmi les plus influents du pays.
« Les douze mauvais hommes », comme les a qualifiés le chef d’un parti ultranationaliste, ont plaidé en faveur d’un dialogue direct avec le parti kurde.
Le message a été entendu par M. Erdogan. C’est le signe qu’« un dialogue (...) est en cours », selon l’éditorialiste Mehmet Altan, qui souligne que tout le monde semble avoir accepté le fait que « la question kurde ne peut pas être résolue sans les Kurdes de Turquie ».
L’Etat turc a souvent refusé de négocier avec « l’organisation terroriste » et ignore systématiquement les cessez-le-feu décrétés par les chefs rebelles retranchés dans la montagne de Qandil, dans le nord de l’Irak. Mais ni la capture d’Abdullah Ocalan, en 1999, ni les opérations menées côté irakien par l’armée turque n’ont fait taire les armes. Depuis 2004, les accrochages restent fréquents dans tout l’Est turc, comme cette semaine dans la province de Sirnak, où deux combattants ont été tués.
« MEILLEURE COMPRÉHENSION »
Le PKK, qui a cessé toute revendication séparatiste, réclame aujourd’hui pour la minorité kurde « des droits culturels et une autonomie politique ».
Les positions de principe s’adoucissent : le chef des forces armées, le général Basbug, reconnaît l’existence du « problème kurde » et admet que la Turquie ne pourra pas le régler par les seuls moyens militaires. Le très nationaliste rédacteur en chef de Hürriyet qualifie même de « honte » l’absence de dialogue avec Ocalan.
Mais le plan d’Erdogan reste flou. Le premier ministre évoque prudemment la « possibilité d’une meilleure compréhension à moyen et long terme ». Les mesures évoquées dans l’entourage du gouvernement concernent d’abord les droits culturels des 15 millions de Kurdes de Turquie et vont dans le sens de la démocratisation amorcée ces dernières années. Les prénoms kurdes pourraient être autorisés et les noms « turquifiés » des villes retrouveraient leur appellation d’origine.
Longtemps interdite, la langue kurde pourrait être utilisée dans le système éducatif et les administrations, et tolérée dans les prisons. Et l’isolement total d’Abdullah Ocalan, dans sa prison d’Imrali, devrait bientôt être levé.
Mais le point crucial est celui de l’amnistie pour les combattants du PKK. Dans la région kurde d’Irak voisine, plusieurs milliers de Kurdes de Turquie, parfois réfugiés avec leurs familles, et dont certains ont quitté la guérilla, attendent un geste pour rentrer au pays. Selon la presse, des officiels du ministère de l’intérieur doivent se rendre prochainement à Erbil, en Irak, pour évaluer les modalités d’une telle opération.
Si elle rencontre le soutien appuyé de Washington et de Massoud Barzani, le président du Kurdistan irakien, l’initiative du gouvernement est accueillie avec prudence dans le sud-est de la Turquie, où le PKK revendique « 5 millions de supporters ». Car, dans le même temps, Turquie, Irak et Etats-Unis poursuivent leur coopération « antiterroriste » pour affaiblir la guérilla.
Guillaume Perrier