- Monument à l’amitié turco-arménienne près de Kars
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a ordonné la destruction d’un monument érigé à la frontière avec l’Arménie et dédié à l’amitié entre les deux pays, une décision qui provoque la controverse, rapportent lundi les médias.
Lors d’une visite dimanche dans la ville de Kars (est), il a qualifié la statue de « monstruosité » et exhorté le maire local, qui est membre de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste), de la démolir rapidement et de construire « un beau parc » à la place, précisent les journaux.
M. Erdogan a avancé des arguments esthétiques pour expliquer sa décision : « Ils ont érigé une monstruosité ici, c’est impensable au milieu de telles œuvres d’arts » de la région, notamment des monuments islamiques datant du 10e siècle, a-t-il souligné.
La statue en béton, haute de 30 m, est encore inachevée. Elle représente deux figures, mais en fait un seul être humain, déchiré en deux. Elle a été commandée en 2006 par l’ex-maire de la ville, lui aussi du parti au pouvoir d’Erdogan, pour mettre l’accent sur l’amitié entre la Turquie et l’Arménie, qui sont engagées depuis 2009 dans un difficile processus de réconciliation.
L’opposition pro-laïque a dénoncé les critiques de M. Erdogan.
Ercan Karakas, un ancien ministre de la Culture, a qualifié de « honte » le fait qu’un Premier ministre puisse attaquer un œuvre d’art tournée vers l’amitié avec les Arméniens. « La sculpture n’est ni étrange ni laide, » a-t-il commenté.
Le célèbre sculpteur Mehmet Aksoy a défendu son œuvre sur la chaîne NTV et indiqué que si elle était démolie, le gouvernement islamo-conservateur serait mis au ban de la communauté internationale.
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Cela constituera une « répétition de ce qu’ont fait les talibans en Afghanistan, en détruisant les statues de Bouddha » en 2001, dans la vallée de Bamiyan, a-t-il dit.
Lundi, le ministre de la Culture, Ertugrul Günay, a tenté d’atténuer la controverse, déclarant devant la presse qu"une solution serait recherchée avec les autorités locales et l’artiste.
L’Arménie et la Turquie sont en profond désaccord sur le caractère génocidaire ou pas des massacres d’Arméniens perpétrés sous l’empire ottoman, de 1915 à 1917.
Ils ont signé en 2009 des accords de réconciliation mais le processus est enlisé dans des accusations mutuelles.
Les éditorialistes s’interrogent sur la raison de cette sortie de M.Erdogan, qui est connu pour la virulence de ces déclarations publiques.
S’agit-il d’une manœuvre électoraliste pour s’attirer les voix des nationalistes qui s’opposent à la réconciliation avec l’Arménie avant le scrutin parlementaire de cet été, se demandait notamment Ali Bayramoglu sur la chaîne d’information NTV. Sa réaction s’explique-t-elle par un souci de se conformer à l’Islam, qui interdit la représentation de l’image humaine, ou s’agit-il plus simplement de trancher dans un conflit entre élus locaux, s’interrogeait encore cet universitaire.
Pour Tarhan Erdem, du journal libéral Radikal, « un Premier ministre peut apprécier ou pas une sculpture (...) mais il n’a pas le droit d’ordonner sa démolition. Elle appartient au peuple, c’est lui qui décide ».
AFP