Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet
A l’approche de la date fatidique du 3 octobre, la tension monte entre l’Union européenne et la Turquie. De part et d’autre les esprits s’échauffent, les positions se durcissent, ce qui fait craindre à la présidence britannique de l’Union un capotage de dernière minute. « Les opposants à l’entrée de la Turquie se livrent, en coulisses, à une surenchère peu honorable », raconte un diplomate anglais. « Ils en rajoutent dans leurs exigences, en maintenant le suspense jusqu’au bout, comme s’ils voulaient pousser les Turcs à claquer eux-mêmes la porte le 3 octobre. »
Alors qu’à Paris, les adversaires de la Turquie donnent à nouveau de la voix, à Ankara, les nationalistes se déchaînent. Après l’affaire chypriote et la polémique sur la conférence arménienne, ils guettent le moindre prétexte pour dénoncer la « capitulation » du gouvernement Erdogan face à l’Union.
A Bruxelles, cette semaine offre deux nouvelles occasions de tensions entre partisans et opposants de la Turquie : la finalisation de l’accord sur le cadre des négociations avec Ankara, et la rédaction de la déclaration politique qui doit être prononcée au nom de l’Union le 3 octobre. Ces deux textes ne devraient pas être adoptés avant le jour J au matin, tant les susceptibilités européennes sont fortes.
Dans ces discussions techniques, trois pays sont à la pointe de la contestation : la France, l’Autriche et Chypre. La France a orchestré pendant deux semaines la bataille sur la reconnaissance de Chypre, obtenant un certain succès.
Sur le document cadre des négociations, qui fixe les règles pour dix ans de pourparlers, c’est l’Autriche qui bloque l’accord à vingt-cinq. Confrontée à une opinion publique hostile à 80% à l’ouverture des négociations, le 3 octobre, Vienne demande que soit mentionnée noir sur blanc l’option « d’un partenariat privilégié » avec la Turquie, au cas où les négociations capotent. La France rêve en silence de cet ajout, pour « répondre aux inquiétudes exprimées par les Français le 29 mai », mais Paris n’ose pas le demander officiellement sachant que c’est une « ligne rouge » inadmissible pour Ankara. « Le cadre des négociations est déjà très strict, on ne peut pas exiger plus », confie un diplomate français. La France ne compte pas pour autant en rester là. Elle veut « muscler » au maximum le discours introductif de la présidence de l’Union pour le 3 octobre, à Luxembourg. De son côté, Chypre n’a pas fini de réclamer son dû.
Dernier exemple : l’adhésion potentielle de Chypre à l’Otan. A la demande de Nicosie, il sera précisé, dans le cadre des négociations amendé que la Turquie ne pourra pas mettre son veto à l’adhésion d’un Etat membre de l’Union à une « organisation internationale ». Pour Ankara, c’est une nouvelle couleuvre difficile à avaler, qui pourrait tout faire basculer si les nationalistes s’emparaient du sujet.
Dans cette dernière ligne droite, semée d’embûches, la Grande-Bretagne, tout en gardant un oeil sur Chypre, va concentrer son énergie sur l’Autriche, pour neutraliser un éventuel veto. « Pour que Vienne renonce à demander le partenariat privilégié, il lui faut une compensation politique », explique un négociateur.
Multipliant les contacts bilatéraux, la Grande-Bretagne espère pouvoir offrir aux Autrichiens une date ferme pour l’ouverture des négociations avec la Croatie. Mais, là encore, un point d’interrogation demeure : quel sera le verdict de Carla del Ponte sur la coopération de Zagreb avec le TPI.
S’il est négatif, l’Union européenne sera dans l’embarras, contrainte de passer outre l’opinion du TPI pour satisfaire les amis de la Croatie. Attendu le 2 octobre, l’avis du TPI ajoute une source d’incertitude pour la Turquie et un sujet de tension pour l’Union.