Une biographie politique du « père de la Turquie moderne »
COMME chaque année, à 9 h 05, le 10 novembre prochain, les sirènes hurleront à Istanbul et la Turquie se figera pour honorer, en une minute de silence, la mémoire de Mustapha Kemal, dit Atatürk (« le père des Turcs »). De fait, la fin de l’empire ottoman et la naissance d’une République turque (en octobre 1923) sont étroitement liés au destin de celui qu’on surnomme aussi « le père de la Turquie moderne » (1881-1938).
En quelques années - et même en quelques semaines pour certaines grandes réformes -, entre 1923 et 1938, Mustapha Kemal fait en effet de la Turquie un pays à la fois musulman et laïque, crée un code civil qui institue l’égalité entre hommes et femmes et abolit la polygamie, accorde le droit de vote aux femmes, impose le calendrier grégorien et le passage de l’alphabet arabe à l’écriture latine... Une « occidentalisation » à marche forcée qui ne souffre aucune opposition, une « révolution » qui ne peut s’accommoder que du système du parti unique, Kemal allant jusqu’à s’enquérir auprès des communistes soviétiques et des fascistes italiens des méthodes pour « conquérir » les masses et transformer la jeunesse en fer de lance de sa « révolution »...
Atatürk, un « despote éclairé » ? Dictateur visionnaire, pour mieux émanciper son peuple, pour mieux imposer un régime parlementaire et progressiste ? Dans la seconde moitié de Mustapha Kemal Atatürk-Naissance d’une république, programmé dans « Les mercredis de l’Histoire », des historiens abordent - trop brièvement - cette problématique ô combien complexe.
Visiblement, le propos du documentaire de Séverine Labat était moins de dresser le bilan très contrasté de la révolution kémaliste que de proposer une biographie politique - à base d’images d’archives nécessairement très institutionnelles et d’entretiens avec des historiens - de ce militaire influencé par l’esprit des Lumières et la Révolution française. Certes, le film rappelle que nombre des grandes réformes imposées par Atatürk ont été préservées par les régimes qui ont suivi, et font aujourd’hui encore le ciment de la société turque. Mais, quitte à raccourcir la première partie, sur « la révolution des jeunes Turcs » qui a précédé l’institution de la république par Mustapha Kemal, on aurait aimé un documentaire avec plus de chair : celle de la société d’hier et d’aujourd’hui, confrontée à ce héros national.