Le Figaro-[21 septembre 2005]
Interrogé, à brûle-pourpoint, sur ses priorités politiques des mois à venir, Tony Blair parle de tout, sauf de l’Europe. Le mot « Europe » ne lui vient jamais à la bouche, même lorsqu’il évoque la lutte contre le terrorisme, sujet de préoccupation numéro un à Downing Street.
Ce désintérêt pour les affaires du continent, qu’il est chargé de présider jusqu’en décembre, se ressent surtout à Bruxelles, où il crée un malaise certain parmi les fonctionnaires. « La présidence britannique, on ne la voit pas, on ne la sent pas, c’est très curieux », se plaint l’un d’eux, voyant dans ce désengagement une conséquence des attentats du 7 juillet. Le vide laissé par Londres est d’autant plus visible qu’au cœur de l’Europe, la Commission Barroso n’a d’autre ambition que de vider ses armoires, encombrées, dit-elle, de projets de directives dont elle ne voit guère l’utilité. Très anglo-saxon d’esprit, ce culte de la « dérégulation » n’est pas pour déplaire à la présidence britannique. A l’abri d’un mauvais coup de la Commission, Londres lâche la bride à ses diplomates en poste à Bruxelles, ne leur donnant pour l’instant qu’une seule consigne : s’assurer que la Turquie démarre bien, et sans drame, ses négociations d’adhésion à l’Union le 3 octobre. Sur ce point, Tony Blair peut être rassuré. Les diplomates de Sa Majesté y travaillent jour et nuit, y compris le week-end, ce qui est assez inhabituel dans la capitale européenne. Soucieux de finaliser à temps la délicate déclaration de l’Union sur Chypre, ils convoquent leurs homologues à des réunions de travail, aussi tardives qu’impromptues. Jusqu’ici, la méthode britannique a payé. Un accord à vingt-cinq a été arraché lundi soir, à Bruxelles, sur le texte final, qui exige d’Ankara une normalisation de ses relations avec Chypre d’ici à son adhésion à l’Union, une condition acceptable pour Ankara. Après avoir obtenu l’accord des vingt-cinq ambassadeurs, la présidence britannique a tenté de le faire officialiser, hier, par les ministres européens de la Pêche, mais ce procédé, habituel à Bruxelles, a déplu aux Chypriotes. Nicosie a ordonné à son ministre de l’Agriculture de ne pas signer le document politique, accusant au passage la Grande-Bretagne d’utiliser des méthodes « néocoloniales ». Les Britanniques ne se démontent pas, persuadés d’obtenir un accord avant la fin de la semaine. « Avec les Chypriotes, il faut juste un peu de patience... », assurent-ils, rassurés de n’avoir d’autre priorité que le dossier turc d’ici au 3 octobre.
Pour le reste de son programme, la présidence britannique reste évasive, cherchant à réduire au minimum les occasions de conflits avec les Français. Londres a renoncé à convoquer un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement en octobre à Bruxelles, remplaçant ce rendez-vous traditionnel par une réunion informelle des dirigeants européens, invités au Hampton Court Palace, près de Londres, les 27 et 28 octobre. Les Vingt-Cinq seront appelés à deviser sur le modèle social européen et sa compatibilité avec la mondialisation, un sujet piège pour la France, qui risque d’être montrée du doigt, avec son taux de chômage, sa loi sur les 35 heures et son discours protectionniste. « Nous espérons bien pouvoir parler d’autre chose, notamment du budget européen », soupire un diplomate français. La Grande-Bretagne, elle, ne compte pas évoquer le sujet du « chèque britannique » avant le mois de décembre, afin d’éviter un nouvel affrontement d’épiciers entre Chirac et Blair. Les Britanniques ne souhaitent pas non plus voir ressurgir cet automne le projet de Constitution. « Il faut arrêter avec cette histoire d’institutions : la Constitution est morte. Plutôt que de se lamenter sur ce sujet, il faut se concentrer sur la lutte contre le terrorisme et sur les moyens d’améliorer notre compétitivité face à l’Inde et à l’Asie », répète-t-on dans l’entourage de Blair. La relance de l’Europe politique n’est pas à l’agenda de Londres. Seule l’économie et le terrorisme sont à l’ordre du jour, deux sujets où l’efficacité de Bruxelles reste à démontrer.