Le soulagement d’Ankara est à la mesure des craintes qu’avaient suscité la perspective d’une victoire éclatante d’Angela Merkel. Hier, les autorités turques se sont ouvertement réjouies de l’absence de majorité absolue pour les conservateurs en Allemagne. Après avoir observé une réserve de circonstance durant la campagne, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan est le seul dirigeant de la communauté internationale à saluer le verdict en demi-teinte des urnes. « C’est un résultat favorable pour le processus européen », a estimé M. Erdogan. Le chef de l’exécutif en a profité pour distribuer les bons et les mauvais points aux candidats. « M. Schröder a mené une campagne réussie bien qu’il soit le dirigeant d’un parti au pouvoir », a-t-il affirmé. « La campagne a montré à quel point les propagandes négatives menées contre les Turcs et surtout au sujet du partenariat privilégié ou de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne faisait naître des résultats négatifs », a-t-il déclaré à l’adresse des conservateurs sans mettre en cause nommément Angela Merkel. Et d’ajouter : « Ce résultat qui a été une surprise pour ceux qui observaient l’Allemagne de l’étranger doit donner à réfléchir aux politiciens, il doit à mon avis être pris en exemple par les politiciens. »
La presse est bien sûr au diapason du premier ministre. Elle se félicite de la contre-performance des démocrates-chrétiens plutôt que de la paralysie au sommet de l’État allemand. Les quotidiens qui avaient qualifié la France d’« homme malade de l’Europe » se sont, cette fois, gardés d’oser une comparaison identique avec l’Allemagne. « L’opposition à la Turquie n’a pas profité à l’Allemagne [1] », a souligné le journal à gros tirage Milliyet. « Les opposants à la Turquie sont déçus », relève le quotidien libéral Radikal. Pour Sabah, « même si Merkel arrive au pouvoir, elle devra s’occuper de problèmes intérieurs pressants et ne tentera pas d’obstruer le lancement des négociations d’adhésion ».
C’est que les Turcs craignaient plus que tout de voir l’Allemagne en locomotive entraînant dans son sillage les « petits » pays européens sur la voie du partenariat privilégié. Ils imaginaient déjà le gouvernement chypriote de Nicosie renforcé dans son intransigeance à quelques jours de l’ouverture des discussions avec Bruxelles.
Un gouvernement de coalition aurait en revanche, selon les experts turcs, pour conséquence de neutraliser le débat sur l’adhésion. Le poids renforcé des libéraux, favorables au respect de l’agenda européen sur la candidature turque, jouent également en faveur d’une telle configuration. « Les intentions et les promesses vont quelle que soit la formule de gouvernement choisie par les Allemands devoir se conformer au réalisme politique », note Seyfi Tashan, le directeur de l’Institut de politique étrangère de Bilkent. Optimistes, les marchés financiers et les milieux d’affaires veulent croire que la menace du renforcement des positions anti-turques est écartée.