Le traité ne remet pas en cause les quatre candidatures déjà déposées, dont celle d’Ankara. En revanche, il impose aux prochains entrants des critères plus stricts sur les droits de l’homme et les droits sociaux.
OUI
« En réalité, la Constitution est formatée pour préparer l’accueil de la Turquie et lui reconnaître une place prédominante dans l’Europe de demain. »
Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans Les Turqueries du Grand Mamamouchi (Albin Michel, janvier 2005)
NON
« Plus nous serons dans une Europe intégrée, moins la Turquie pourra y participer. [Mais] si vous refusez la Constitution, ce sera alors le grand marché, et la question de l’intégration de la Turquie sera posée avec d’autant plus de facilité. »
Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, le 24 février à Tarbes
L’adoption de la nouvelle Constitution ne favorisera pas une future intégration européenne de la Turquie. Et le rejet de ce traité ne freinera en rien le processus lancé en décembre 2004 lors du sommet européen qui a donné le feu vert à l’ouverture, en octobre 2005, des négociations d’adhésion avec Ankara. Cette question pèse pourtant lourdement dans le débat sur la Constitution, notamment en France. Nombre des adversaires du texte, à gauche comme à droite, n’hésitent pas à brandir l’épouvantail turc, présenté par les premiers comme un cheval de Troie de Washington et comme le spectre d’une déferlante migratoire islamiste par les seconds.
« Lier la question du référendum sur la Constitution à celle de l’adhésion de la Turquie est aussi artificiel que démagogique », martèle Robert Badinter, avocat et sénateur socialiste, partisan convaincu du oui, mais adversaire d’un élargissement qui repousserait les frontières de l’UE jusqu’à l’Iran et l’Irak. « La Constitution ne rend ni plus facile ni plus difficile l’adhésion de la Turquie », assure le juriste Jean-Luc Sauron. [1]
Barre relevée. Certes, les dispositions et modalités du texte prévues pour le dépôt des candidatures (article I-58, lire ci-dessous) ne s’appliquent pas aux candidatures déjà reconnues, à savoir celles de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Croatie et de la Turquie. Pour ces dernières, l’examen d’entrée ne change pas. Mais la barre s’en trouve relevée...
Pour être membre, il faut accepter de « promouvoir ensemble » les valeurs de l’Union, déclinées à l’article I-2. Or, celles-ci sont plus exigeantes que les critères fixés en 1993 à Copenhague et que tout pays candidat doit impérativement respecter (démocratie, Etat de droit, droits de l’homme, économie de marché), puisque s’y ajoutent désormais l’égalité hommes-femmes et le respect des droits des minorités. Deux pierres de plus dans le jardin d’Ankara...
Au terme des négociations, le traité d’adhésion reste soumis à la ratification par chaque Etat membre, selon ses propres règles constitutionnelles (référendum ou vote parlementaire). L’ouverture des négociations avec Ankara ne préjuge ni de leur aboutissement rapide, ni même d’une issue positive, s’évertue à répéter Jacques Chirac, qui, pour mieux rassurer les Français, a fait inscrire dans la Constitution nationale que tout futur élargissement au-delà de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie fera obligatoirement l’objet d’un référendum.
Comme l’admet Etienne de Poncins [2] , diplomate et membre du secrétariat de la convention, le nouveau système de vote prévu au sein de l’UE par la Constitution, avec une double majorité de 55 % des Etats et 65 % des populations, « rend sans conteste plus problématique une adhésion de la Turquie » : en raison de son poids démographique, « ce pays se verrait attribuer dès son adhésion la première place dans les institutions », avec la capacité de bloquer trois décisions sur quatre. En outre, par ce qu’il implique d’intégration politique accrue entre les Etats membres comme par ses critères plus rigoureux en matière de droits de l’homme ou de droits sociaux, le nouveau traité peut s’avérer nettement plus contraignant pour la Turquie, qui, au contraire, trouverait plus facilement sa place dans une Europe a minima réduite à un grand marché et sans véritable ambition politique commune. La problématique se pose à peu de choses près dans les mêmes termes pour l’Ukraine...
« Effet déstabilisateur ». En fait, la vraie question, la plus difficile et la plus cruciale, celle des frontières de l’Europe, n’apparaît qu’en filigrane dans la Constitution. « Paradoxalement, c’est l’une des questions qui a fait l’objet du moins de réflexion approfondie », reconnaît Etienne de Poncins, qui souligne que « cette absence de définition précise des frontières a un effet déstabilisateur pour les opinions publiques en proie au sentiment d’un élargissement continu ». Il y aura à terme les pays des Balkans, s’ils poursuivent leur route vers la démocratie, ainsi qu’une partie de ceux issus de l’URSS. Les frontières de l’UE ont-elles vocation à devenir à terme celles des 46 pays du Conseil de l’Europe, y compris la Russie, le jour où celle-ci le souhaiterait et respecterait les valeurs de l’Union ?
La principale novation de la Constitution est d’instaurer explicitement un statut de « relations privilégiées » entre l’Union et certains de ses voisins (article I-57, lire ci-dessous). Un ajout dû au président de la convention, Giscard d’Estaing, qui ne s’est jamais privé de dire son hostilité à l’adhésion turque. « Il s’agit d’une voie nouvelle, et ces accords pourraient être proposés à des pays qui ne souhaitent pas rejoindre l’Union ou dont la candidature n’aurait pas été jugée recevable pour des raisons géographiques », souligne Etienne de Poncins. Pour la première fois, un traité européen institutionnalise ainsi ce que pourra être le deuxième ou le troisième cercle de l’UE.
Demain : la souveraineté de la France est-elle garantie ?
Article I-2
L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté,
de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.
Article I-57
L’Union et son environnement proche
ß1. L’Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées, en vue d’établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l’Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération.
ß 2. Aux fins du paragraphe 1, l’Union peut conclure des accords spécifiques avec les pays concernés. Ces accords peuvent comporter des droits et obligations réciproques ainsi que la possibilité de conduire des actions en commun.
Leur mise en œuvre fait l’objet d’une concertation périodique.
Article I-58
Critères d’éligibilité et procédure d’adhésion à l’Union
ß1. L’Union est ouverte à tous les Etats européens qui respectent les valeurs visées à l’article I-2 et s’engagent à les promouvoir en commun.
ß2. Tout Etat européen qui souhaite devenir membre de l’Union adresse sa demande au Conseil.
Le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de cette demande. Le Conseil statue à l’unanimité après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent.
Les conditions et les modalités de l’admission font l’objet d’un accord entre les Etats membres et l’Etat candidat. Cet accord est soumis par tous les Etats contractants à ratification, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.