Une délégation du Hamas à Ankara : une première pour l’organisation terroriste depuis sa victoire aux élections législatives en Palestine. Devraient suivre l’Iran et la Russie. Organisée semi-officiellement, on apprend que cette visite relève d’abord de la responsabilité du parti au pouvoir en Turquie, l’AKP, qui tente ici le pari d’une politique autonome et constructive dans la région, en « clin d’�il » à l’UE et au risque de se brouiller temporairement avec un gouvernement israélien en campagne électorale et une administration US sur les rails de Tel-Aviv. Brève revue de presse ankariote sur l’évènement.
- Khalid Mesal
Radikal
Dans ses contacts à Ankara, si le Hamas devait recevoir le message selon lequel il lui fallait se conformer aux demandes de la communauté internationale, il a également profité des conseils émanant de l’expérience démocratique en Turquie.
La chancellerie turque devait répéter mot à mot les exigences formulées le 30 janvier dernier par le Quartette (USA, UE, Russie et ONU) concernant l’abandon de la violence, la reconnaissance d’Israël et des accords internationaux précédemment acceptés par l’Autorité palestinienne tout en rappelant qu’en cas de non renoncement à la violence, le Hamas risquait de perdre le bénéfice du dialogue avec la Turquie et d’entraîner le peuple palestinien vers la catastrophe.
« Si le Quartette avait pu s’entretenir avec le Hamas, il n’aurait pas dit autre chose que ce que nous avons dit », devait préciser un diplomate turc qui a rappelé combien avait été soulignée la nécessité du renoncement à la violence qui, au cas où il ne serait pas effectif, entraînerait la détérioration des relations avec la Turquie.
La délégation du Hamas n’a pas fourni de réponse nette et s’est contentée de dire qu’elle allait considérer les recommandations turques.
Quant aux responsables de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement, au pouvoir), ils devaient également aborder ce sujet du renoncement à la violence. « Nous avons été élus de façon démocratique et nous avons multiplié les gestes pour renforcer la démocratie. C’est la raison pour laquelle notre autorité en est sortie renforcée. Votre attachement à la démocratie ne peut que renforcer vos autorité et légitimité », ont-ils précisé à leurs interlocuteurs palestiniens.
« Nous ne nous attendions pas à gouverner, nous ne nous sommes pas préparés », devaient reconnaître les membres de la délégation du Hamas. « L’AKP a connu la même situation », ont répondu les responsables turcs.
« L’équilibre des forces au Proche-Orient nous est défavorable », ont rappelé les représentants palestiniens. « Nous sommes venus ici, dans un pays éminemment respectable, puissant et progressant sur la voie de l’UE. Nous souhaitons que la Turquie soit plus active encore dans la région. »
Radikal - Murat Yetkin (correspondant à Ankara)
« Nous sommes très reconnaissants à la Turquie. D’après nous, elle a mené une action assez positive. Une initiative qui va dans le sens des intérêts des Palestiniens mais aussi, et même s’ils sont furieux aujourd’hui, des Israéliens. Parce que sur le long terme, nous croyons que c’est une initiative susceptible de contribuer à la paix. »
D’après les informations données par Nebil Mazuf, le représentant en Turquie de l’Autorité palestinienne, à l’heure à laquelle le ministre turc des Affaires étrangères a appelé son homologue israélienne Tzsipi Livni dans le nuit du 15 février, le premier ministre Tayyip Erdogan a téléphoné à Mahmut Abbas, juste après le repas donné en l’honneur du chef de gouvernement du Bahrein.
Abbas a dit qu’il soutenait entièrement la venue de son rival politique Mesal en Turquie. Sur ce, Erdogan devait lui demander s’il avait un message à faire passer à Mesal : la réponse de Abbas a été la suivante : les demandes du Quartette.
Mazuf est lui-même l’un des anciens du Fatah. Au cours de notre entretien, il devait insister sur le fait que personne ne doit s’attendre à ce que le Hamas renonce à son discours d’anéantissement d’Israël en une nuit.
« Mais si le Hamas souhaite diriger la Palestine comme un gouvernement démocratiquement élu, alors il sera tôt ou tard contraint d’annoncer qu’il reconnaît Israël et qu’il accepte la feuille de route. Par le passé nous avons connu le même problème avec le Fatah. En Israël, le Likoud a également connu les affres du changement. La preuve en étant aujourd’hui l’apparition de Kadima. Le Hamas connaîtra le même processus. C’est la raison pour laquelle une chance doit lui être donnée. La fait qu’il ait accueilli positivement les recommandations turques à la suite des entretiens d’Ankara constitue d’ailleurs un premier signe de ce changement. »
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Rien n’est aussi facile que le laissent paraître les choses. Par exemple, un ambassadeur d’un pays de l’UE avec lequel je me suis entretenu hier devait confier que, malgré le fait que le Hamas soit au nombre des organisations recensées comme terroristes par l’UE, il ne savait pas s’ils pouvaient, en l’état actuel des choses, fermer la porte au nez de l’un de ses représentants désireux de dialoguer : « Après délibération avec nos partenaires, certainement aurions-nous donné une telle réponse, mais il est évident que ce n’est pas une proposition que l’on peut refuser d’entrée et sans réflexion. »
L’ancien ministre des affaires étrangères de l’AKP, Yasar Yakis devait se prononcer en ces termes :
« Il sera difficile d’obtenir des résultats sans accord avec l’une des parties au conflit. Mais il paraît délicat de refuser la venue de l’une d’elles si elle le souhaite et si, surtout, elle vient de remporter des élections libres. La Turquie n’a pas de licence à demander à quiconque sur le choix de ses interlocuteurs. Dans la mesure où les messages transmis restent sur la ligne définie et acceptée internationalement, il reste possible de contribuer à la recherche d’une solution. »
Alors que Khalid Mesal, chef du bureau politique du Hamas (en exil à Damas), annonçait depuis Damas, qu’il ne venait pas à Ankara pour « se faire donner des consignes », le fait qu’il se soit montré satisfait des recommandations faites à Ankara, nous fait tourner les yeux vers la prochaine étape de son parcours : Téhéran. Les paroles qu’il prononcera là-bas montreront si le Hamas a une quelconque intention de changement.
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Hürriyet
Dans les couloirs du Ministère des Affaires étrangères, des diplomates turcs laissent entendre que, en dépit de l’opposition d’une majorité de la bureaucratie diplomatique à l’idée d’un contact avec le Hamas, le véritable responsable de la venue des représentants du parti islamiste en Turquie serait en fait le conseiller pour les affaires étrangères du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, Ahmet Davutoglu.
Il devait expliquer au chef du gouvernement que dorénavant la Turquie se doit de tenir un rôle plus actif dans la région pour en devenir l’une des puissances majeures et que pour cela, même si pour l’instant elle n’était pas en mesure de servir d’intermédiaire dans le conflit israélo-palestinien, elle pouvait néanmoins prendre la place du pays influent et écouté. Davutoglu devait défendre la position selon laquelle il était plus juste d’entrer en contact avec le Hamas dès avant la formation du gouvernement et convaincre, sur ce point, le chef du gouvernement turc.
Néo-ottomaniste
Le professeur Davutoglu est une figure connue du grand public depuis 1999 et plus particulièrement depuis la victoire de l’AKP en 2002. Il souhaite voir la Turquie devenir ce qu’il appelle « la pointe du compas » ce qui conduit certains à le qualifier de néo-ottomaniste.
Il est également le père de deux théories : celle de la « profondeur stratégique » et celle du KÜSP (Zéro problème avec les pays voisins). Il compte parmi les conseillers les plus influents de l’état-major de l’AKP.
Il est l’auteur de multiples ouvrages dont l’un des principaux a pour titre « la profondeur stratégique ». Dans la préface de ce livre, il se livre à une explicitation de ses positions :
« Nous devons faire face à la responsabilité de fondre en un ensemble cohérent neuf et pertinent à la fois la profondeur historique et la profondeur stratégique de la Turquie comme de faire vivre ce tout dans une profondeur géographique. La Turquie, qui d’un point de vue stratégique est pays pivot, y gagnerait une position centrale plus conforme à une conjoncture internationale rendue plus stable par la composition des nouveaux équilibres. »
Né en 1959 à Konya (Anatolie centrale), il a étudié l’économie et les sciences politiques à l’Université de Bogaziçi à Istanbul. Il fut un temps enseignant dans le cadre de l’Université « de l’Islam » fondée par l’Organisation de la Ligue Islamique en Malaisie. Marié et père de 4 enfants, il parle couramment Anglais et Allemand.
© Radikal le 18/02/2006
© Hürriyet, le 18/02/2006