Il n’est « pas acceptable » de laisser, dans le mandat de négociation des Européens, « le membre de phrase selon lequel l’objectif de la négociation est l’adhésion », a déclaré hier Valéry Giscard d’Estaing à la Mutualité, ici entouré de François Fillon et Nicolas Sarkozy.
« Sortir du double langage ! », c’est l’injonction lancée par Valéry Giscard d’Estaing à propos de la Turquie. Devant les quelque cinq cents « conventionnels » de l’UMP réunis hier à la Mutualité, pour cette première journée consacrée aux frontières de l’Europe, l’ancien président de la République, a voulu mettre les points sur les i : « Après des années d’ambiguïté et de double langage vis-à-vis des Turcs, chacun a le devoir de s’exprimer en toute clarté sur ce sujet. »
Il a commencé par démonter l’argument du référendum promis par Jacques Chirac aux Français au terme du processus de négociation : « Avec le bons sens cher à Descartes, nos compatriotes se disent que jamais la France n’aura un poids suffisant pour s’opposer, à l’issue de dix ou quinze ans de négociations, à l’entrée de la Turquie. » Puis il a balayé d’un revers de la main l’espoir que les conditions drastiques fixées à la candidature d’Ankara suffiront à faire échouer le processus d’adhésion. Pour sortir « très vite de cette seringue », l’ex-père de la Constitution souligne donc qu’il n’est « pas acceptable » de laisser, dans le mandat de négociation des Européens, « le membre de phrase selon lequel l’objectif de la négociation est l’adhésion », rappelant que tout processus d’adhésion suppose « l’unanimité ». Sans prononcer le mot de veto, VGE a donc hier jeté un pavé dans la mare des diplomates du Quai d’Orsay.
Philippe Douste-Blazy, lui, a tenté de concilier les points de vue entre l’UMP et l’Elysée, du moins au début de son intervention. Prévenant d’emblée qu’il s’exprimait en « militant » davantage qu’en ministre des Affaires étrangères, il a relayé le souhait unanime du parti de demander à la Turquie « la reconnaissance de tous les Etats membres, y compris de Chypre ». Mais il a aussi rappelé que « tout élargissement étant désormais soumis à référendum », par décision de Jacques Chirac, « c’est le peuple français qui sera souverain » quand la question de l’adhésion d’Ankara devra être définitivement tranchée.
Mais le ministre des Affaires étrangères a surtout profité de cette convention de l’UMP pour faire une avancée sémantique. Proposant de « permettre à une avant-garde d’aller plus loin », il a suggéré l’organisation d’une « fédération d’États nations », estimant que « ce projet-là doit faire l’objet d’un traité particulier, plus exigeant et plus explicite ».
Président du Parti populaire européen (PPE), Mariano Rajoy a délibérément évacué la question turque pour traiter de la « fragilité » du modèle économique européen. Un réquisitoire qui ressemble fort à celui de Nicolas Sarkozy contre le « modèle social français ».
Le bref mais brillant exposé de l’essayiste Alain Minc a également ravi Nicolas Sarkozy, par son approche volontairement provocatrice. Sans excès d’indulgence, lui non plus, pour le « modèle » français, Alain Minc s’en est pris à la méthode choisie par Jacques Chirac pour faire approuver la Constitution en expliquant que le référendum, « pire produit d’exportation français », symbolisait « le triomphe de la démocratie d’opinion sur la démocratie représentative ». Il a également invité les défenseurs du oui à s’interroger sur la pertinence de leur « pédagogie ». Face à l’extrême gauche, dont Alain Minc a souligné qu’elle avait réussi la performance d’« assimiler l’Europe à la mondialisation », mais aussi vis-à-vis des jeunes. Appartenant à une génération pour qui « l’Europe est un état de nature et pas un état de culture », ils ont cru, selon l’essayiste, qu’un vote contre la Constitution n’aurait « pas d’incidence » sur le fonctionnement de l’Union. Nicolas Sarkozy a opiné du chef, sans paraître vraiment convaincu. Le patron de l’UMP estime que la perspective de l’adhésion turque est la cause principale de l’échec du référendum, et a organisé la convention d’hier pour le prouver.