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En Turquie, des milliers d’ouvriers du textile sont atteints de silicose

mercredi 10 juin 2009, par Guillaume Perrier

A 22 ans, Erkan a le pas lent et la respiration saccadée d’un vieillard. Dès l’âge de 14 ans, le jeune homme a débarqué de sa campagne anatolienne pour venir travailler à Istanbul : quatre ans de labeur dans un atelier textile de la lointaine banlieue. « Je suis arrivé ici avec mes deux frères. Nous ne savions même pas qu’il existait une rive asiatique et une rive européenne à Istanbul », explique-t-il, à bout de souffle. L’un des frères est hospitalisé depuis plusieurs semaines, tandis que le second, invalide, est retourné au village. Tous trois sont en sursis, atteints par la silicose.

Cette affection pulmonaire incurable qui frappe habituellement les mineurs de fond s’est répandue de manière inquiétante chez les ouvriers du textile, et plus particulièrement ceux employés au délavage de la toile de jean dans de petits ateliers confinés. Au moins une quarantaine de personnes en sont mortes depuis 2005.

En cause : la technique de la pulvérisation de sable ou de silice à haute pression, couramment employée dans ces usines pour délaver le denim. Cette pratique, interdite dans l’Union européenne, vient tout juste de l’être en Turquie, début avril, par le ministère de la santé, qui a annoncé la fermeture d’une soixantaine d’ateliers.

Mais le mal est fait. Le comité de soutien aux travailleurs du jean estime à environ 4 000 le nombre d’ouvriers turcs atteints par la silicose. "J’ai déjà perdu une dizaine d’amis et d’anciens collègues de travail, explique l’un des responsables, Abdulhalim Demir, 28 ans, lui aussi atteint. Dans son village de la région de Bingöl, dans l’Est, dont il est originaire, ils seraient au moins 300 malades.

Douze heures par jour, il décapait du tissu en pulvérisant du sable, traitant ainsi l’équivalent de 400 paires de jeans quotidiennement. La poussière s’incrustait « jusque dans les sous-vêtements ».

« C’était un travail très dur, mais qui nous permettait de toucher un bon salaire, environ 600 euros, raconte-t-il. L’atelier dans lequel je travaillais n’avait pas de fenêtre et nous n’avions qu’un petit masque en tissu pour nous protéger. Nous courions le risque, car ces emplois étaient les seuls à offrir le logement. » A la fin de sa journée de travail, Abdulhalim allait dormir dans une pièce adjacente à l’atelier.

Le professeur en médecine Zeki Kiliçaslan estime que trois mois à ce régime suffisent à contracter la silicose. « 95 % de ces ouvriers travaillent au noir et sans Sécurité sociale », ajoute-t-il. Des dizaines d’ateliers de ce type, souvent clandestins, emploient environ 10 000 personnes, d’après le ministère du travail. Un chiffre très sous-évalué.

« La maladie progresse très vite, constate Fulya Ayata, membre du comité de soutien. Il faut renforcer les contrôles et classer la silicose comme maladie professionnelle pour permettre aux victimes de toucher une retraite et une pension pour leur famille. »

La Turquie, dont l’industrie textile reste l’un des piliers de l’économie, est l’un des plus gros fabricants mondiaux de jeans et le troisième exportateur, selon Nedim Özbek, président de l’association des producteurs de jeans. « Ce segment joue un rôle de locomotive et emploie 300 000 ouvriers », résume-t-il.

Les plus grandes marques, de Levi’s à Dolce & Gabbana, sous-traitent une partie de leur production en Turquie. Rejetant toute responsabilité des patrons du secteur, M. Özbek estime que cette industrie est victime d’un « complot » et que « les ateliers clandestins installés sous les escaliers n’existent quasiment plus depuis des années ».

Longtemps actifs dans la banlieue pauvre d’Istanbul, peuplée d’immigrants des campagnes de l’est du pays, les ateliers ont commencé à déménager vers des villes de province du pays, mais aussi en Egypte ou au Bangladesh.

Guillaume Perrier

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Sources

Source : Le Monde, le 15.05.09

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