Un vieux cheval de retour à la tête du parti du cheval blanc. C’est ainsi que beaucoup résument l’élection d’Hüsamettin Cindoruk à la présidence du DP (Demokrat Parti-Parti démocrate), lors du congrès de ce dernier, les 15 et 16 mai 2009. L’événement a fait sensation en raison de la personnalité plus que controversée de ce vieux routier de la politique turque, qui pourtant paraissait avoir pris définitivement sa retraite depuis une dizaine d’années.
À ceux qui s’inquiètent de voir succéder à Süleyman Soylu, à la tête du parti démocrate, un personnage auquel on reproche d’avoir été impliqué dans certains des mauvais coups portés à la démocratie turque, au cours des dernières décennies, Hüsamettin Cindoruk répond en rappelant son passé de « démocrate », ou plutôt devrait-on dire de « Demır Kır At », ce qui veut dire en turc « cheval de fer bis » et qui est une homophonie avec le mot « démocrate » (c’est ce qui explique que tous les partis héritiers du légendaire parti démocrate des années 50 –l’AP dans les années 60 et 70, le DYP dans les années 80 et 90, et le nouveau DP depuis 2007- aient tous pris pour emblème le cheval blanc sur fond rouge). Cindoruk connaît bien, en effet, les voies sinueuses empruntées par le fameux « canasson ». Juriste de formation, il s’est fait connaître, alors qu’il n’avait pas encore 30 ans, pour avoir été l’un des défenseurs de l’ex-premier ministre, Adnan Menderes, lors du procès de celui-ci, après le coup d’Etat de 1960. Bien que Menderes ait été finalement condamné et exécuté, Cindoruk a acquis une réputation à cette occasion et apparaît ensuite comme l’un des principaux collaborateurs de Süleyman Demirel, le leader de l’AP (Adalet Partisi-Parti de la Justice), le parti qui entend assumer alors l’héritage des démocrates chassés par les militaires en 1960. Après le coup d’Etat de 1980, alors même que Süleyman Demirel, premier ministre renversé, est banni de la politique turque, c’est Cindoruk qui crée et qui dirige pour un temps le DYP (Doğru Yol Partisi- Parti de la Juste voie), la formation qui prend la succession de l’AP. Lorsque ce parti arrive enfin au pouvoir, à l’issue des élections législatives de 1991, il devient président du parlement et beaucoup voit en lui un possible premier ministre, lorsque Süleyman Demirel, redevenu premier ministre, en 1991, est élu à la Présidence de la République, en 1993, à la suite du décès du président Özal. Mais le vent souffle alors pour Tansu Çiller, sa rivale au sein du DYP.
En 1995, Cindoruk croît que le moment est venu de faire cavalier seul et crée son propre parti le DTP (Democrat Türkiye Partisi-Parti pour une Turquie démocratique, à ne pas confondre bien sûr avec l’actuel DTP kurde). Mais les premiers résultats de ce parti sont tout sauf convaincants. Cela n’empêche pas Cindoruk de jouer un rôle-clé au moment du coup d’Etat post-moderne en soutenant la coalition gouvernementale de Mesut Yilmaz, mise en place par l’establishement pour succéder à l’islamiste Necmettin Erbakan. Bien que l’échec de son parti aux élections de 1999 le voit se retirer de la politique, il ne se gêne pour se manifester lors de la crise présidentielle de 2007, au cours de laquelle il soutient l’exigence constitutionnelle contestable du quorum des 367 députés et applaudit au e-memorendum de l’armée le 27 avril (notre édition du 29 avril 2009). L’année 2008 le voit combattre la réforme tendant à autoriser le foulard dans les universités et critiquer vivement l’affaire « Ergenekon ». « Nous avions déjà connu la loi martiale militaire par le passé, c’est la première fois que nous avons affaire à une loi martiale civile », déclare-t-il notamment pour stigmatiser l’enquête menée par le procureur Zekerya Öz et les vagues d’arrestations auxquelles elle donne lieu.
La candidature de Cindoruk et son élection facile à la tête du DP, à la fin de la semaine dernière, ont été une surprise. Assiste-t-on pour autant au renouveau du centre droit turc, qui depuis la cuisante défaite du DYP et de l’ANAP 2002, est à la recherche de sa splendeur perdue ? Rien n’est moins sûr. Minée dans les années 90 par les querelles permanentes du DYP et de l’ANAP, cette famille politique a vu ce qui lui restait d’audience décliner régulièrement au cours de la dernière décennie au profit notamment de l’AKP, qui a très largement pris sa place au centre de l’échiquier politique turc. En 2007, le DYP et l’ANAP ont vainement tenté de s’unir au sein du « Demokrat Parti » (nos éditions des 4 et 5 juin 2007), sous la direction de Mehmet Ağar, une autre personnalité controversée des années 90 (cf. notre édition du 12 février 2009). Mais l’ANAP a finalement fait faux bon et, lors des dernières élections législatives, le nouveau DP n’a pas passé la barre de 10% des suffrages exprimés lui permettant d’obtenir une représentation parlementaire. Son résultat des élections municipales de 2009 a été encore pire. Enregistrant un score à peine supérieur à 3%, il a été ravalé au rang de formation marginale, ce qui a provoqué la démission de son leader, Süleyman Soylu et ouvert la voie à Hüsamettin Cindoruk.
Le nouveau leader du DP a annoncé, après son élection, sa volonté de reconquérir le terrain perdu, en regagnant notamment l’influence électorale que l’AKP lui a ravie, au cours de la décennie écoulée. Mais à 76 ans, l’ancien président du Parlement est surtout suspecté de vouloir remettre au goût du jour des moeurs politiques d’un autre âge. On peut donc penser que ce retour au galop en politique d’une personnalité, qui symbolise à bien des égards un état d’esprit révolu, risque de connaître un essoufflement rapide.