Istanbul correspondance
Dans la grande banlieue industrielle d’Istanbul, la zone de Merter est quasi vouée au textile. Près de 1 500 ateliers de production y sont regroupés.« L’ambiance est morose depuis quelques mois. Chaque jour, j’entends que deux ou trois entreprises ferment leurs portes, constate, amer, Erhan Aktunali, un jeune patron du secteur. Il n’y a plus de commandes. Et beaucoup d’incertitude pour l’avenir. »
Le PDG de Tuna Örme fabrique des T-shirts et des joggings pour des marques allemandes, françaises ou britanniques et emploie 170 salariés. Son activité a chuté de 30 % depuis la suppression des quotas d’importation de textile venant de Chine, le 1er janvier.« Beaucoup de nos donneurs d’ordres sont partis en Chine. Nous devons continuer à abaisser nos coûts de production, mais nous ne pouvons pas lutter contre les prix chinois », soupire-t-il.
Pilier de l’économie turque, l’industrie textile représente un tiers des exportations nationales (15 milliards de dollars en 2003). En comptant les emplois indirects, ce sont près de 4 millions de Turcs qui vivent de cette manne. Grâce à sa proximité géographique et à des salaires relativement bas (350 euros par mois), la Turquie est l’atelier de l’Union européenne (UE) et son deuxième fournisseur de textile. Mais la concurrence chinoise pourrait plonger le secteur dans la crise.
« Cela fait plus d’un an que j’avertis l’UE et l’Organisation mondiale du commerce -OMC-. 100 000 personnes vont perdre leur travail, clame Suleyman Orakcioglu, président de l’Association turque des exportateurs de textile et de confection. Et au moins 200 000 autres sont menacées. »
ALLER PLUS À L’EST
Dans l’atelier de confection de Tuna Örme, des couturiers s’affairent.« Je ne suis pas inquiet. Les Chinois ne pourront jamais atteindre cette qualité » , se rassure un ouvrier. Son patron est moins optimiste.« Je vais peut-être devoir licencier tout ou partie de mes salariés. Et déménager ma production », regrette M. Aktunali. Aller à l’est du pays, où les salaires sont moins chers. Voire en Asie centrale.« L’Iran, l’Ouzbékistan ou le Turkménistan sont très prisés, rapporte-t-il. Certains partent aussi en Chine. »
A la tête du groupe Joy (350 salariés), un poids lourd du textile, Kenan Dogan, lui, s’était préparé.« Le problème ne se pose pas pour nous car nous sommes très flexibles et produisons des choses assez compliquées, sur lesquelles la Chine ne nous concurrence pas, avance-t-il. En plus, j’ai diminué de 30 % mon temps de production. » Son activité a même crû depuis le 1er janvier.
Selon M. Dogan, la Turquie, pour faire face au géant chinois, doit recentrer sa stratégie sur ses avantages structurels : une proximité culturelle avec l’Europe et un savoir-faire ancien de sa main-d’œuvre.« Les Chinois sont imbattables sur les grandes quantités et les produits simples. Mais les Turcs sont plus réactifs et sensibles aux modes. Nous devons jouer sur la qualité. D’ici cinq ans, la Turquie va devenir la nouvelle Italie de l’Europe », prophétise-t-il.
Le secteur textile turc devrait aussi exporter ses propres marques. Actuellement, une petite dizaine y parvient, à l’instar des jeans Mavi, présents aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Russie. Tuna Örme envisage cette issue.« Pour nous en sortir, nous devons investir dans le design et la création, analyse Asli Aktunali, qui s’occupe du marketing du groupe familial. »
« Le »made in Turkey doit devenir une référence« , confirme Suleyman Orakcioglu, patron du groupe Orka et représentant des exportateurs de textile. L’association, en partenariat avec l’Union européenne, va créer à Istanbul un institut de la mode, pour former à tous les métiers du secteur. Pour, selon M. Orakcioglu, »faire d’Istanbul une capitale de la mode".
Article paru dans l’édition du 04.05.05