Logo de Turquie Européenne
Accueil > Revue de presse > Archives 2006 > 02 - Articles de février 2006 > Dossier / Caricatures de Mahomet : Dérapages incontrôlables

Dossier / Caricatures de Mahomet : Dérapages incontrôlables

jeudi 9 février 2006, par Gülay Göktürk

Courrier International/Bugün

Alors que la crise des caricatures ne cesse de prendre de l’ampleur, il est peut-être temps de nous interroger sur la façon dont nous voudrions que les autres nous respectent. La Turquie étant, parmi les pays musulmans, celui où la démocratie et la liberté d’expression sont le plus développées, il est normal que l’on attende d’elle une attitude différente de celle des manifestants aux yeux révulsés qui, dans les rues de Bagdad, brûlent des drapeaux danois en hurlant des slogans. Je pense même qu’il incombe aux musulmans turcs d’apaiser quelque peu les musulmans du Moyen-Orient, en faisant preuve d’une attitude plus tolérante et plus sage. Mais, pour cela, il convient de s’interroger sur des concepts tels que le “respect des valeurs sacrées” ou les “offenses subies ou faites à autrui”. Les Européens nous disent que la liberté d’expression ne reconnaît pas d’immunité au sacré. Quant à nous, nous leur rétorquons que cette liberté d’expression s’arrête dès lors qu’on s’en prend aux valeurs sacrées. Mais, en disant cela, nous oublions quelque chose de fondamental. A savoir qu’il n’y a pas qu’une seule sorte de valeur sacrée. En effet, là aussi, le pluralisme est de mise. Pour certains, c’est la religion qui est sacrée, pour d’autres c’est le sentiment national, l’Etat ou encore le drapeau. Si chacun juge que ce qui est sacré pour lui doit être préservé des conséquences de la liberté d’expression, le risque est grand que l’espace de celle-ci se réduise comme une peau de chagrin. D’où le concept d’une liberté d’expression illimitée. La moindre exception à cette règle risque en effet de vider ce concept de son sens. Il devient alors très difficile de faire la distinction entre une limitation “raisonnable” de cette règle et une autre qui ne le serait pas.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille absolument utiliser chaque fois, et sans limites, cette liberté d’expression. Il est en effet certaines libertés que l’on préfère parfois ne pas utiliser. D’ailleurs, tout dans la vie ne peut être régi par le droit et la justice. Lorsqu’ils font usage de leurs droits et de leurs libertés, les gens souhaitent aussi et surtout vivre mieux au sein de leur société, ainsi que dans leurs rapports avec le monde qui les entoure. C’est là qu’intervient la question de l’empathie. Lorsque vous faites usage de la liberté d’expression, il est toujours possible de tenir compte de ce que les autres ressentent et de la façon dont vous êtes perçus. Dans ces cas-là, vous vous imposez volontairement des limites. Utiliser la liberté d’expression sans faire preuve de la moindre empathie ne coûte peut-être rien d’un point de vue strictement juridique, mais peut par contre laisser des traces sur le plan moral. Dans ces conditions, une société mature, c’est une société qui peut faire usage de sa liberté d’expression avec empathie, mais qui peut également répondre avec calme, tout au plus par un simple petit reproche, à un partenaire qui aurait fait preuve à son égard d’un manque de respect.

Gülay Göktürk
« Bugün »

9/02/2006

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0