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Crise des caricatures : Ankara à la recherche de solutions

mercredi 8 février 2006, par Murat Yetkin

Turquie Européenne pour la traduction
Radikal, le 07/02/2206

Murat Yetkin, correspondant à Ankara du journal Radikal, soulève un pan du voile diplomatique recouvrant l’agitation d’une diplomatie turque qui tient à faire la preuve de son utilité dans le « dialogue entre civilisations », d’autant que la faiblesse de la réaction populaire aux caricatures en Turquie l’incite plus à se montrer créative que réactive. Il en profite également pour rappeler comment les Européens devaient manquer, il y a deux ans, l’occasion d’instaurer une instance de communication directe entre l’UE et l’Organisation de la Conférence Islamique, pour des raisons... « secondaires ».

© Radikal, le 07/02/2006

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Crise des caricatures : Ankara entre en lice

Recep Tayyip Erdogan (chef du gouvernement) :
- Ca y est, j’interviens dans cette crise des caricatures, Abdullah...

Abdullah Gül (ministre des Affaires étrangères, second du gouvernement) :
- C’est bien Tayyip, mais qu’est-ce que t’y comprends toi aux caricatures ?

© Penguen, magazine humoristique, le 08/02/2006

Dessin de Erdil Yasaroglu

Si le forum UE-OCI (Organisation de la Conférence Islamique) avait pu avoir lieu en octobre 2004, aurait-on pu disposer d’un mécanisme institutionnel capable de nous aider à contenir le feu de la vague de tensions inter religieuses qui se répand aujourd’hui dans le monde ? La réponse est oui, nous aurions pu être en mesure de disposer de tels instruments.
Si le forum de 2004 avait pu avoir lieu dans la continuité de ce qui avait été initié par le ministre turc des Affaires Etrangères, Ismaïl Cem dès 2002, alors la manifestation aurait été reconduite en 2005. Et très probablement, nous aurions assisté à la mise en place d’un secrétariat dédié à la coordination entre l’UE et l’OCI. Il aurait constitué un canal de dialogue supplémentaire et une sorte d’instance propre à désamorcer l’enchaînement des événements et réactions liés à des développements qui en dépassant le cadre de la seule liberté d’expression ont atteint la dimension de l’insulte.
Cela n’a pas été possible.

Blocage chypriote

Et il est assez facile d’en trouver la raison dans persévérance obtuse dans laquelle tombent de temps en temps les politiciens européens. Pour mémoire il faut rappeler que peu de temps avant que le forum ne soit annoncé en avril 2004, un référendum avait été tenu sur l’approbation ou non du plan Annan dans les Etats grecs et turcs de Chypre. Les Grecs ont refusé un plan que les Turcs ont eux accepté et malgré cela, sont devenus le 1er mai suivant, membres de l’UE.

Quant à la conférence des ministres des affaires étrangères de l’OCI qui devait se tenir à Istanbul en juin 2004, elle devait décider de s’adresser aux Turcs de Chypre, non plus comme à la minorité turque de Chypre, mais, ainsi que le prévoyait le plan Annan, comme aux Turcs de Chypre (sous entendant par-là qu’ils n’avaient pas vocation à être représentés par la partie grecque de l’île). La République Turque de Chypre du Nord (RTCN ) qui jusqu’à présent avait bénéficié d’un statut d’observateur aurait alors été désignée dans les réunions de l’OCI sous l’appellation « d’Etat turc de Chypre ».

Et le mécanisme qui, aujourd’hui aurait pu contribuer à apaiser un environnement en tensions, n’a pas vu le jour parce que le forum n’ a pas eu lieu à cause de Chypre. C’est le Luxembourg qui devait alors reprendre la Présidence tournante de l’UE. Le Luxembourg était représenté en ce temps-là à Ankara par l’ambassadeur des Pays-Bas, Sjörd Goosses. Le lobbying chypiote fut efficace, la majorité des nouveaux pays membres de l’UE devaient soutenir Nicosie et cette importante rencontre n’a pas pu avoir lieu au motif de la conviction selon laquelle la représentation des Turcs de Chypre dans ce forum pouvait revenir à une reconnaissance. L’occasion fut manquée.

Le ministre turc des Affaires Etrangères, Abdullah Gül a lancé, ces jours derniers, une nouvelle initiative. Le 5 février, le chef de la diplomatie danoise Per Stig Moeller dans une lettre envoyée au Secrétaire Général de l’OCI Ekmeleddin Ihsanoglu (de nationalité turque, ndlt) demandait de l’aide au sujet des réactions qui ont pu prendre la dimension d’attaques physiques comme en Syrie et au Liban. Gül en réunissant les états-majors de son ministère devait décider de poser la question de ce qu’il était possible de faire. Il devait également s’entretenir avec Ihsanoglu. Il a été décidé d’organiser des contacts entre la Présidence autrichienne de l’UE et celle tournante également de l’OCI assurée par le Yemen.

Rencontres UE-OCI

Mais cette fois pour que Chypre ne fasse pas obstacle dans ce problème très grave auquel se trouve confronté le monde entier, ce sont de nouvelles mesures qui sont étudiées. Parmi celles-ci, au lieu d’une conférence à laquelle participeraient tous les membres des deux organisations, on envisage une formule pratique et plus applicable dans laquelle seules les Troïka se réuniraient, c’est-à-dire les présidences en exercice ainsi que les précédentes et les suivantes (la prochaine présidence de l’UE étant la Finlande, celle de l’OCI étant l’Azerbaïdjan).

Les caricatures dessinées par un caricaturiste danois dans le but, selon ses propres termes, de forcer les limites de la liberté d’expression, a entraîné de sérieuses réactions non seulement des pays musulmans mais aussi d’autres pays dans le monde. Cette volonté de forcer n’a pas seulement entraîné les réactions de personnes ayant eu le sentiment d’avoir été les victimes d’un affront et, malheureusement dans certains cas, des réactions qui versent dans la violence. Mais dans le même temps a permis que l’on ouvre le débat sur la liberté d’expression, l’une des valeurs importantes de notre époque, sous un des angles de questionnement les plus mauvais. On devait à nouveau se rendre compte combien il était faux et dangereux d’éprouver la liberté d’expression avec des notions comme la liberté et le respect de la croyance de chacun.

Ce qui incombe en ce moment à toute personne de bon sens comme aux responsables publics est de contribuer à apaiser et à faire disparaître ces tensions. La seule résultante d’une confrontation des civilisations comme de la cristallisation des points de vue ne peut être que davantage d’accrochages et de conflits.
La démarche que vient de lancer la Turquie, si les autres veulent contribuer à l’instauration d’un environnement apaisé, ne doit pas être l’otage de considérations secondaires.
Cette fois, ne pas manquer l’occasion relève de l’intérêt de quiconque souhaitant l’apaisement et la coopération.

© Radikal, le 07/02/2206

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