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Chypre et la Turquie, encore

lundi 12 septembre 2005

Publius.fr

Je reviens une nouvelle fois sur le sujet. C’est que l’échéance du 3 octobre approche et que tout est encore loin d’être clair. Dans ma note précédente j’indiquais que les ministres des affaires étrangères des 25 devaient se réunir pour statuer sur la reconnaissance de Chypre par la Turquie.

Quels enseignements peuvent être tirés de la réunion du Conseil des 1er et 2 septembre derniers ?

Premier enseignement : aucun Etat ne s’est aventuré à remettre en cause la date du 3 octobre. Malgré le durcicement de ton des autorités françaises, les menaces de de Villepin n’ont pas été mises à exécution.

Deuxième enseignement : les 25 ont réaffirmé la nécessité pour la Turquie de pleinement respecter l’accord d’union douanière signée entre le pays et l’UE et récemment étendue aux dix nouveaux Etats membres, dont Chypre. Concrètement, cela signifie qu’il ne doit plus y avoir de restriction à la libre circulation des marchandises entre l’UE et la Turquie. La Turquie est donc sommée d’autoriser les navires et les avions chypriotes à entrer dans ses ports et ses aéroports. Problème : Abdullah Gül, le ministre turc des affaires étrangères, a déclaré que son pays n’avait aucunement l’intention de respecter cet engagement, prétextant du fait que seuls les pays membres doivent remplir cette obligation et que la Turquie ne l’est pas encore (mais j’avais cru comprendre qu’elle souhaitait le devenir, drôle de raisonnement...).

Troisième enseignement : les 25 ne sont pas arrivés à se mettre d’accord pour le moment sur un texte au sujet de la reconnaissance chypriote (préalable à l’ouverture des négociations, sujet au cours des négociations, etc.). Le Royaume-Uni, qui préside actuellement le Conseil, a proposé un texte jugé trop conciliant à l’égard des positions turques par au moins trois pays : la France, la Grèce et Chypre. Les diplomaties des 25 tentent donc toujours de trouver un terrain d’entente. Les uns ne veulent pas tout compromettre, estimant qu’une crise ouverte avec la Turquie ne serait pas bienvenue actuellement, tandis que les autres ne veulent pas se montrer trop souples sur les critères d’adhésion sensés être les mêmes pour tous. La marge de manœuvre est mince. Par ailleurs, George Iacovou, le ministre chypriote des affaires étrangères, a demandé la réunion d’une cession extraordinaire du Conseil affaires générales (les ministres des affaires étrangères des 25) pour le 26 septembre, soit une semaine tout juste avant l’ouverture prévue des négociations. Un durcicement de ton de la part des trois Etats à la tête du front du refus (Grèce, Chypre et France) n’est pas à exclure.

Que comprendre de tout ça ? Tout d’abord, on peut penser que beaucoup souhaitent en fait garder « l’argument chypriote » comme un outil de pression constant au cours des négociations afin que la Turquie se conforme le plus possible aux exigences européennes. D’où leur reticence à « griller cette cartouche » dès maintenant. Le but est ainsi de désamorcer le bras de fer que semble vouloir mettre en œuvre Ankara. Ce que je retiens en effet de la tournure des évènements, personnellement, c’est l’approche très différente de l’adhésion par le gouvernement turc et par les gouvernements des pays d’Europe centrale ces quinze dernières années. On sentait chez ceux-ci une véritable « envie d’Europe », de faire à nouveau partie d’une famille au moins autant spirituelle que technicienne (les miliers de page d’acquis communautaire à reprendre). Cela s’explique évidemment avant tout par le contexte historique, et le mot d’ordre de « retour à l’Europe » cher à la dissidence. Rien de tel n’existe en Turquie. Ce pays attend au contraire depuis des années, et même des décénies (1963), que le « club chrétien » daigne enfin lui entrouvrir ses portes. Source de frustration et de blessure de l’orgueil national encore assez fort en Turquie, dogme kémaliste oblige. Par ailleurs, la présence actuelle au gouvernement d’islamistes (même modérés - qui ressemblent plus à des « chrétiens démocrates » musulmans qu’à des intégristes évidemment) semble avoir également jouer dans ce changement de mentalité turc vis-à-vis de l’Europe. Il ne s’agit plus de rejoindre un club comme n-ième membre, mais de négocier d’égal à égal pour déboucher sur un accord positif pour les deux partis. Ce n’est pas illégitime en soi, mais d’une part c’est assez nouveau pour les Européens, et d’autre part le ton parfois employé par les autorités turques me semble limite contre-productif.

Pour finir sur un avis encore un peu plus personnel, si je ne suis pas opposé par principe à une adhésion turque (je pense que ce sera difficile mais nécessaire), je crois impératif de traiter la Turquie comme tout autre candidat. C’est à dire d’un côté ne pas chercher tous les prétextes possibles et imaginables pour toujours reculer l’échéance, mais aussi de l’autre ne pas être moins exigeant avec ce pays qu’on a pu l’être avec les pays d’Europe centrale par exemple. Le conflit latent autour de la reconnaissance de Chypre est en cela un bon exemple. L’Union a exigé (à juste titre à mon avis), la signature d’accords dits de « bon voisinage » entre les pays d’Europe centrale pour la pérénisation des frontières (sujet historiquement délicat dans la région) avant d’entamer les négociations. C’est notamment ce qui a permis d’enfin régler un conflit vieux de près d’un siècle entre la Hongrie et la Roumanie au sujet de la Transylvanie. Il me semble donc tout à fait normal de demander que la Turquie règle ses différends au sujet de Chypre, afin que les négociations puissent se dérouler correctement. L’adhésion n’en sera à mon avis que plus bénéfique pour les deux parties, car ne reposant pas sur un jeu de pressions mutuelles de style « je te tiens par la barbichette ».

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