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Ankara promu parrain du Grand Moyen-Orient

jeudi 22 septembre 2005, par Mete Cubukcu

Courrier international/Radikal

Le projet d’un monde musulman sous tutelle américano-israélo-turque inquiète l’éditorialiste de Radikal, qui ne souhaite pas voir son pays jouer un rôle de gendarme pour le compte des Américains.

Un nouvel axe est en train de se substituer à ce qui était connu, à l’époque de la guerre froide, sous le nom de “ceinture verte” [stratégie américaine de lutte contre le communisme ; dans les années 1970-1980, les mouvements islamistes étaient soutenus par Washington car perçus comme anticommunistes]. Cet axe s’articule autour du projet de “Grand Moyen-Orient” (GMO), qui nous paraît désormais banal. On l’appelle la “ceinture de l’islam modéré” et un rôle particulier y est attribué à la Turquie. Washington cherche à placer sur un même axe, allant de l’Indonésie au Maroc, une série de gouvernements dociles et loyaux.
Conformément au rôle qui lui est conféré dans ces liaisons dangereuses, la Turquie a déjà réussi à organiser une rencontre entre deux pays qui n’ont normalement aucune relation : le Pakistan et Israël ! Quand on sait que l’architecte de cette rencontre n’est autre que le parti islamiste “modéré” [AKP, au pouvoir], l’événement devient d’autant plus significatif. En multipliant ses actions sur un axe Etats-Unis - Israël, ce parti a l’air de vouloir se faire pardonner le refus de la Turquie de participer à l’invasion de l’Irak.

Des dirigeants arabes vont serrer la main de Sharon

Au-delà de la rencontre organisée entre Israël et le Pakistan, l’AKP se prépare à jouer les intermédiaires entre Tel-Aviv et les pays arabes qui n’ont pas de relations avec l’Etat juif. On parle de la possibilité pour ce dernier d’ouvrir des bureaux au sein des représentations diplomatiques turques existant dans les pays arabes.
Le gouvernement du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, ne semble pas trop gêné de voir la Turquie jouer un tel rôle. Et, ironie du hasard, ce genre de relations est assumé par un parti à coloration islamique. L’ancêtre de ce parti, le Refah de Necmettin Erbakan [au pouvoir de 1995 à 1998], n’avait-il pas signé les accords commerciaux et militaires les plus importants passés entre la Turquie et Israël ? Aujourd’hui, l’AKP d’Erdogan se prépare à aller plus loin dans cette voie. Tout en essayant de maintenir ses partisans de base sur un terrain idéologique différent, il semble jouer le rôle de cheval de Troie pour introduire Israël dans le monde musulman.
L’entrevue d’officiels israéliens avec le leader pakistanais sera suivie de rencontres avec les leaders des pays d’Afrique du Nord. Et plusieurs dirigeants arabes vont serrer la main d’Ariel Sharon. On commence à voir aujourd’hui que le processus commencé avec le retrait israélien de la bande de Gaza n’est pas uniquement le transfert d’un petit territoire aux Palestiniens. Il n’y a en fait rien de plus normal qu’Israël se retire des terres qu’il avait envahies, mais, telle que la chose se déroule, on présente ce retrait presque comme une faveur accordée par Tel-Aviv. L’occupant essaie, avec l’aide des Etats-Unis, de faire passer cette idée dans toute la zone GMO. Ce qui nous préoccupe, c’est le rôle attribué à la Turquie dans le triangle qu’elle forme avec Israël et les Etats-Unis, car ce rôle est potentiellement dangereux. Au Moyen-Orient, il y a une réaction hostile à tout ce qui peut paraître comme une initiative américaine, et cette réaction ne cesse de s’amplifier. La ceinture verte de l’islam radical était conçue par les Américains comme un rempart contre le communisme avant d’être décriée par eux-mêmes comme “le foyer du terrorisme”. Ils veulent la remplacer aujourd’hui, au nom de la démocratie, par un autre projet islamique dit “modéré”, aux contours assez vagues. On ne serait pas étonné de voir qu’il dérive aussi vers un autre chaos, car les projets de Washington sont en général conçus à court terme et servent uniquement ses propres intérêts ponctuels. Nous, les Turcs, nous sommes par contre partie intégrante de cette région et nous y serons encore bien après le retrait des Etats-Unis.

Mete Cubukcu, 22/09/05

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