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A propos d’une intervention de la Turquie en Irak du Nord

jeudi 8 novembre 2007, par Marie Phiquepal

Depuis la mort, dimanche 21 octobre, de 12 soldats turcs dans une embuscade du PKK, l’émotion et les manifestations dans diverses villes du pays viennent alimenter un climat de tension déjà largement médiatisé depuis deux semaines. Les photos des « martyrs » font la une des journaux et les drapeaux turcs ornaient de nombreux balcons et vitrines avant même la fête nationale du 29 octobre.

L’armée turque a déjà riposté en bombardant des camps du PKK tuant (selon ses estimations) près de 70 combattants du PKK. De son côté, le Conseil National de la sécurité a décidé de sanctions économiques contre l’Irak pour forcer Bagdad à coopérer dans la lutte contre le PKK, la déclaration du Président irakien appelant le PKK à déposer les armes ayant été jugée insuffisante. Ces attentats rendent-ils une incursion de l’armée turque en Irak, contre les bases, du PKK plus opportune et efficace pour autant ? Est-elle, malgré les apparences, profondément souhaitée par le gouvernement turc et l’opinion ?

Malgré la colère suscitée par ces évènements, les doutes quant au bien-fondé d’une option si radicale s’avèrent justifiés, tant le problème est complexe et multidimensionnel. En effet, outre sa dimension régionale (les relations avec l’Irak, l’Iran et la Syrie, pays à forte minorité kurde, étant très directement liées à ce problème), la question kurde a de plus en plus une dimension internationale, touchant entre autres aux relations avec les Etats-Unis (surtout depuis 2003) et avec l’Union Européenne.

Le cas de la Syrie est ainsi révélateur du caractère central du problème kurde, la prise de position du président syrien en faveur de la Turquie dans cette affaire constituant dans une certaine mesure un tournant, car pendant longtemps la Syrie a été l’un des meilleurs soutiens du PKK. La dimension économique est également très présente dans cette affaire, parce que les entreprises turques sont très implantées dans le Nord de l’Irak. Il y a enfin un enjeu national majeur qui concerne l’épineuse question de l’intégration des Kurdes qui représentent près de 20% de la population totale de la Turquie. Les différents aspects de cette crise étant fortement imbriqués, les conséquences d’une incursion militaire risqueraient donc de se faire sentir à tous les niveaux.

Aujourd’hui, face aux nouveaux attentats, considérés par beaucoup comme un « piège du PKK », la situation des dirigeants turcs est délicate : d’un côté ils ne veulent pas perdre la face vis-à-vis de l’opinion publique et montrer leur fermeté face à une menace déjà largement instrumentalisée. De l’autre, ils ne sont pas sans ignorer les conséquences qu’auraient d’une telle intervention. On observe d’ailleurs que les propos des principaux membres du gouvernement, privilégiant la voie diplomatique, au cours de leurs visites tant en Europe qu’au Moyen Orient, prennent de la distance par rapport à l’ambiance interventionnisme qui prévalait lors de la motion au Parlement, il y a une quinzaine de jours. Ils tendent à rejoindre ainsi le scepticisme de nombreux commentateurs à l’égard d’une opération militaire. Au-delà de la médiatisation et de la dramatisation dont cette question est aujourd’hui l’objet, il convient de relativiser la probabilité d’un tel choix. En effet, l’appel à une intervention militaire et les manifestations nationalistes qui la réclament ne sont pas les premiers du genre si l’on se souvient de ce qui s’est passé avant les élections législatives de juillet dernier. En dépit du climat tendu qu’elles contribuent à créer, ces réactions ne déboucheront pas forcément sur une intervention militaire.

La question est aujourd’hui de savoir si l’option diplomatique constituera une stratégie positive signifiant une réelle volonté de rechercher, à plus long terme, d’autres voies de règlement, ou si elle ne sera qu’un statu quo résigné, potentielle bombe à retardement… Une politique à long terme, considérant le problème dans son ensemble paraît en effet nécessaire. La solution ne pourra être simplement économique comme on le croît trop souvent en Turquie et ailleurs. Le rattrapage du retard de développement qui caractérise le Sud Est de l’Anatolie ne fera pas disparaître les revendications politiques. Et l’attribution de droits, symboliquement importante, suppose aussi que ces acquis soient effectifs.

Il y a certes actuellement une résurgence des violences et beaucoup diront que les réformes récentes ont été adoptées sous la contrainte de l’Union Européenne, sans qu’il y ait un réel changement d’approche. Mais des évolutions sont en cours. Il suffit de rappeler que l’usage public de la langue kurde est désormais courant et qu’Istanbul est devenue le plus grand centre d’édition kurde, choses qui étaient impensables il y a encore 10 ans. De même, les Kurdes ont largement voté pour l’AKP, aux dernières élections législatives…

Pour le PKK également, l’étau se resserre : il y a quelques années encore, l’organisation bénéficiait de soutiens régionaux multiples (Irak, l’Iran, Syrie…) Aujourd’hui, la situation a changé, comme en attestent les prises de position récentes des autorités de ces pays. Des spécialistes de la question kurde l’affirment : bien que le noyau dur du PKK soit encore actif et très radicalisé (plus encore d’ailleurs avec son affaiblissement), les moyens qu’il emploie réussissent de moins en moins à convaincre. Moins soutenu qu’auparavant par les populations locales alors même que ses ramifications en Europe et dans les autres pays à minorité kurde sont combattues, le PPK semble sur la pente descendante.

Une intervention militaire et les dérapages qu’elle pourrait provoquer risquerait de compromettre ces évolutions encore fragiles. Car, les combats contre le PKK (même s’il ne s’agit que bombardements circonscrits) peuvent rapidement être interprétés comme une lutte contre les revendications kurdes en elles-mêmes. L’équation actuelle contient au moins deux inconnues : les intentions réelles des autorités turques et la réaction des Kurdes irakiens face à une intervention éventuelle, comme en atteste, à ce sujet, les propos répétés et inquiets de Massoud Barzani, gouverneur de la région kurde autonome au nord de l’Irak. Si ce dernier a appelé le PKK a ne plus utiliser l’Irak comme base arrière, il a aussi averti auparavant la Turquie que le peuple se défendrait « face à toute agression si la région kurde est visée".… L’issue incertaine d’une intervention militaire incite à s’en remettre des moyens moins radicaux. Rappelons que les 24 interventions de la Turquie en Irak avant 2003 se sont révélées vaines. Le gouvernement et l’armée sont d’ailleurs bien silencieux à ce sujet.

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Sources

Article original sur le site de l’OViPoT

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