Michel Sailhan
La Turquie poursuit une diplomatie ambitieuse et hyper-active, de l’Iran à l’Amérique latine, avec l’espoir de hisser son influence politique internationale au niveau de son développement économique.
Recep Tayyip Erdogan effectue cette semaine une visite au Brésil, la première jamais effectuée par un Premier ministre turc, avant de se rendre en Argentine et au Chili.
Il devait s’entretenir avec le président Luiz Inacio Lula da Silva, après la signature le 17 mai de l’accord entre Brasilia, Ankara et Téhéran visant à résoudre la crise du programme nucléaire de l’Iran, pays soupçonné par les Occidentaux de se doter de l’arme nucléaire.
L’accord a été fraîchement accueilli par les Etats-Unis, alliés de la Turquie au sein de l’Otan, et qualifié d’” « imposture” » par Benjamin Netanyahu, le Premier ministre d’Israël, autre allié stratégique d’Ankara.
Mais il a mis au premier plan deux pays émergents, le Brésil et la Turquie, membres non-permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, dans un dossier qui, a déclaré M. Erdogan au Brésil, “ « mettait très mal à l’aise la communauté internationale” ».
“ « Avec l’Iran, la Turquie essaye de donner une dimension politique au concept de pays émergent” », note Jean Marcou, de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA, Istanbul).
Outre la question iranienne, M. Erdogan a donné à ce périple de huit jours en Amérique latine une portée économique, se faisant accompagner de nombreux hommes d’affaires.
Déployée également en Afrique (le président turc Abdullah Gül était en mars au Cameroun et en République démocratique du Congo), la diplomatie de la Turquie est aussi en plein essor, sur ses frontières.
Dernier projet en date, une visite, prévue en juin, du président du Kurdistan irakien Massoud Barzani, qu’Ankara accusait jadis de comploter contre la Turquie.
De nombreuses entreprises turques travaillent au Kurdistan, et Ankara “ « pousse Barzani à lutter contre le PKK” », les rebelles kurdes de Turquie basés au Kurdistan irakien, rappelle l’éditorialiste Semih Idiz, du journal Milliyet.
Outre le Kurdistan, le régime islamo-conservateur turc au pouvoir depuis 2002 a engagé une politique du “ « zéro problème” » avec ses voisins, aux succès mitigés : réconciliation avec deux ennemis de jadis, la Syrie et la Grèce -M. Erdogan était à Athènes à la mi-mai -, rapprochement avec l’Iran et l’Irak, tentative de réconciliation avec l’Arménie.
Et Ankara s’est spectaculairement tourné vers les pays arabes, au grand dam d’Israël, avec lequel les relations se sont nettement détériorées.
Cette diplomatie très active qui n’oublie pas la Russie (le président Dmitri Medvedev était en Turquie en mai) et marquée aussi par la volonté constamment répétée d’entrer dans l’Europe, ne peut se comprendre sans tenir compte du développement économique du pays, rappelle Jean Marcou.
Membre du G20, la Turquie est passée en vingt ans du 28e au 17e rang dans le classement des économies mondiales du FMI. Sa croissance a été de 6% au dernier trimestre de 2009.
“ « La Turquie a enfin les moyens de sa géographie” », note M. Marcou. “ « Elle devient une véritable puissance régionale et veut prendre place sur la scène internationale.” » Le phénomène s’explique aussi par des changements politiques : M. Erdogan “ « a remis en cause l’ancien système sécuritaire où l’armée faisait la loi en politique étrangère, et installé un pouvoir stable, capable d’imposer ses vues” ».
Pour Semih Idiz cependant, cet essor diplomatique ne tient pas précisément au régime en place. Les frontières de la Turquie sont ce qu’elles sont, Iran, Syrie, Irak, explique-t-il. “ « Les dirigeants n’ont pas le choix, ils doivent proposer des solutions aux crises qui sont à leur porte” ».