Lundi 30 juillet, le Général Yasar Büyükanit, s’est exprimé, pour la première fois depuis les élections législatives anticipées qui ont vu la large victoire de l’AKP. Faisant référence à la conférence de presse qu’il avait tenue le 12 avril et lors de laquelle il avait évoqué, dans la perspective de la prochaine l’élection présidentielle, le profil du candidat acceptable par les Forces armées, le chef d’Etat major a déclaré que pour lui rien n’était changé et que le futur Président devait être une personnalité ayant un attachement démontré pour la laïcité. Rappelons que cet attachement, pour les Forces armées, concerne aussi et surtout l’épineuse question de la coiffure de l’épouse du futur président, les militaires excluant absolument que celle-ci soit voilée. « Nous avons dit, ce que nous avons dit avec conviction, le point de vue des Forces armées ne va pas changer pas tous les jours ! », a conclu le Général.
Dans la perspective de l’élection présidentielle, qui doit se tenir dans les semaines qui viennent, la déclaration du Chef d’Etat Major est un indicateur important. En effet, bien que Recep Tayyip Erdogan ait laissé entendre à la fin de la campagne électorale qu’il pourrait accepter un candidat de compromis, Abdullah Gül a redit, le 25 juillet, que les électeurs qui ont massivement voté pour l’AKP lors des élections législatives ne comprendraient pas qu’il retire sa candidature à la présidentielle. Le leader de l’AKP n’a pas démenti formellement son ministre des Affaires étrangères mais il ne l’a pas expressément approuvé non plus. Le CHP, pour sa part, a rappelé son hostilité à la candidature de Gül et a redit qu’il boycotterait le scrutin si elle était maintenue. Pourtant, les autres forces politiques représentées au Parlement n’ont pas suivi le parti kémaliste. Le lendemain, Devlet Bahçeli, le leader du MHP, nouvellement représenté au Parlement avec 70 sièges, a déclaré qu’il participerait lui au premier tour de la présidentielle même si Abdullah Gül y est candidat tandis que les nouveaux députés kurdes annonçaient eux-aussi leur intention d’être présents lors du scrutin.
Formellement donc, les obstacles institutionnels à la candidature de Gül sont levés. Reste à savoir ce qu’il va advenir. Depuis une dizaine de jours, en fait, on a l’impression que les principaux protagonistes de l’élection présidentielle à venir campent sur leurs positions. Cela ne veut pas dire que l’on s’achemine nécessairement vers une reprise de la crise. En réalité, la grande interrogation actuellement est de savoir de quel poids dispose encore l’armée dans le fonctionnement du système politique. Dépossédée par les réformes réalisées dans la perspective de l’intégration européenne d’une forte partie des pouvoirs nominaux que lui donnait la Constitution de 1982 initialement, en particulier de ceux dont elle disposait à l’égard du gouvernement par l’intermédiaire du Conseil de Sécurité Nationale (CSN), l’armée a compensé son affaiblissement par une active propension à s’exprimer sur tous les sujets en cours qu’ils relèvent de la politique intérieure ou de la politique extérieure du pays, usant en quelque sorte de la parole comme d’une forme de pouvoir de dissuasion avec l’intention de voir le gouvernement de l’AKP prendre en compte son point de vue. Cette attitude a culminé, au soir du premier tour de l’élection présidentielle,le 27 avril, avec le e-memorendum que les forces armées ont placé sur leur site Internet pour décrire un certain nombres d’atteintes récentes à la laïcité et rappeler leur détermination à veiller à ce que les principes fondamentaux de la République laïque soient respectées. Mais, après l’écrasante victoire de l’AKP aux élections législatives le 22 juillet, que le Président de l’Assemblée nationale sortante, Bülent Arinç a d’ailleurs décrite comme un « mémorandum du peuple » répondant au « e-mémorandum » du 27 avril, que reste-t-il du pouvoir de dissuasion de l’armée ? Telle est bien la question qui se pose aujourd’hui.