La Turquie ne joue pas avec Israël
C’est depuis longtemps la relation stratégique la plus durable au Moyen Orient – peut être parce que c’était la plus improbable.
Pendant des décennies, les deux superpuissances régionales, la Turquie et Israël, se sont tenus épaule contre épaule face à des défis stratégiques.
Ces 20 dernières années, la mystérieuse coopération entre l’Israël Juive et la Turquie Musulmane a de plus en plus fait surface, faisant fi des demandes du Monde Arabe et des faucons en Turquie – à la fois Musulmans et de Gauche – que la Turquie prenne ses distances avec Israël dans ses liens militaires élaborés et les services secrets.
Actuellement, tout est entrain de changer. Ou bien est-ce juste un contretemps ?
Dimanche, Israël a fait savoir que des manœuvres aériennes militaires conjointes de l’OTAN, nom de code, « Anatolie Eagle », avaient été repoussées car la Turquie avait exclu l’armée de l’air israélienne. Les exercices devaient inclure les Etats Unis et l’Italie. Les deux pays ont annulé leur participation après l’exclusion d’Israël par la Turquie.
Les exercices de guerre auraient du avoir lieu dans la ville centrale d’Anatolie, Konya, et auraient du inclure des entraînements aux bombardements dans l’espace aérien turc le long des frontières iraniennes, syriennes et irakiennes.
Le ministère turc des affaires étrangères a fait une déclaration insipide disant que « ce n’est pas la peine de donner un sens politique au fait que la partie internationale de l’exercice ait été repoussée ».
Mais, parlant dimanche soir sur CNN, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutogmu, a fait allusion au fait que l’exclusion d’Israël était liée à la colère persistante de la Turquie à l’égard d’Israël à cause de sa guerre effrénée contre le Hamas à Gaza au début de l’année.
Davutoglu a dit : « Nous espérons que la situation à Gaza s’améliorera, qu’il y aura un retour à la voie diplomatique, et que cela créera également une nouvelle atmosphère dans les relations turco israéliennes. »
« Mais » a-t-il ajouté, « dans la situation existant présentement, bien sûr, nous critiquons Israël. »
La colère de la Turquie a été ravivée suite à la publication du rapport Goldstone pour les Nations Unies, qui accuse Israël d’avoir commis des crimes de guerre. Le Premier Ministre Recip Tayyip Erdogan est monté au front pour critiquer la mise au placard du rapport au Conseil des Droits de L’Homme des Nations Unies.
Cette exclusion n’est pas la première action menée par la Turquie pour montrer publiquement son mécontentement contre Israël à cause de l’attaque contre Gaza.
En Janvier, au Forum Economique Mondial de Davos en Suisse, Erdogan a quitté précipitamment la conférence après avoir reproché au président israélien Shimon Peres l’importance du nombre de victimes à Gaza lui disant : « Vous savez très bien comment tuer des gens ».
Et, le mois dernier, Davutoglu a annulé une visite en Israël car les autorités israéliennes avaient fait savoir qu’il ne serait pas le bienvenu s’il rendait visite à Gaza en même temps.
Ces incidents ont accru les tensions existantes dans les liens politiques entre les deux pays depuis l’arrivée au pouvoir du Parti islamiste Justice et Développement en 2002.
Le quotidien turc le plus lu, Hurriyet, suggère que le « nouveau ton glacial » dans les relations ne va pas changer de si tôt. Les exercices de guerre « ont été repoussé indéfiniment », selon le quotidien, citant un responsable turc bien placé.
La décision concernant les exercices de guerre ont été un choc majeur pour les planificateurs stratégiques d’Israël.
« C’est un développement sérieusement inquiétant » a dit l’ancien chef d’état major de l’armée de l’air, Eytan Ben –Eliyahou, à la TV publique israélienne. « La Turquie est vitale pour l’entraînement de nos forces armées aériennes sur de vastes espaces, étant donné surtout la localisation stratégique de la Turquie proche à la fois de l’Iran et de la Syrie. »
Il y a deux ans, des bombardiers israéliens auraient emprunté l’espace aérien turc lors de leur attaque d’un site syrien en construction soit disant nucléaire.
Les deux états ont entretenu des liens étroits sur le plan militaire. Ils ont régulièrement mené des exercices conjoints de leurs flottes, le partage des renseignements est devenu une routine, et le commerce des armes s’est consolidé suite à un accord de coopération militaire signé en 1996.
Israël a fourni pour des centaines de millions de dollars d’équipement militaire à la Turquie pendant des années, et a modernisé les tanks et avions turcs.
Mais depuis un an, la Turquie a régulièrement commencé à diminuer sa coopération militaire tout en augmentant parallèlement de tels liens avec la Syrie.
Des responsables israéliens ont fait savoir que même avant l’annulation de l’exercice aérien, il y avait déjà des inquiétudes concernant le futur d’accords d’armement et d’efforts conjoints pour développer des systèmes d’armement spécialisés.
Non officiellement, les industries militaires israéliennes sous contrôle gouvernemental ont reconnu que le potentiel d’exportation vars la Turquie a diminué de mois en mois, les US et les Européens, spécialement les Italiens, les fabricants d’armes italiens remplaçant les industriels de l’armement israéliens.
Suite aux commentaires israéliens initiaux durs mais emprunts de panique sur l’annulation des exercices de guerre, une déclaration du bureau des affaires étrangères turc a dit : « nous appelons les responsables israéliens à agir avec bon sens dans leurs déclarations et leurs attitudes. »
Le directeur du centre stratégique de recherche à l’Université Bahcesehir d’ Istanbul, Ercan Citioglu, a dit à la TV Al Jazeera basée au Qatar : « La Turquie est le seul pays ami d’Israël dans la région. Elle a de très bonnes relations avec la Syrie et l’Iran. C’est pourquoi Israël recherche le soutien de la Turquie pour la politique qu’il mène dans la région ce qui est vital pour lui. »
En privé, certains responsables israéliens disent qu’Israël ne devrait pas considérer « le changement abrasif d’Ankara » à la lègère.
Le Ministre de la Défense Ehud Barak a conseillé de garder la tête froide. Après une discussion à huit clos de haut niveau dans son QG de Tel Aviv, Barak a dit : « malgré les hauts et les bas, la Turquie continue d’être un élément central dans notre région. Il n’est pas question de se laisser entraîner à des déclarations acerbes contre eux. »
Mais l’un des hauts responsables israéliens a dit franchement à inter Press Service, » il se pourrait que la réalité ait déjà changé, et que les liens stratégiques que nous pensions continuer avec la Turquie sont simplement terminés ».
Lors de la réunion du cabinet hebdomadaire Dimanche, un ancien ministre de la défense, le Ministre de l’Industrie, Benyamin Ben-Eliezer, a dit qu’Israël ne pouvait pas se permettre d’adopter une ligne dure : « Nous avons des intérêts communs stratégiques importants avec la Turquie. Nous devons agir avec la plus grande sensibilité de sorte que les prévisions sombres ne se matérialisent pas. »
Influer sur l’attitude de la Turquie semble peu probable sans un changement significatif de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens.
L’annulation d’ »Anatolian Eagle » laisse un certain nombre de questions stratégiques sans réponse, à la fois sur le plan bilatéral et international, et aussi en interne en Turquie et en Israël :
•Quels sont les implications d’un différent Turquie Israël sur les efforts internationaux pour stopper le nucléaire iranien ?
•Cela signale t-il un changement dramatique dans les relations entre l’armée turque et l’Administration islamique modérée du parti au pouvoir l’AK ? Jusqu’à cette dramatique décision l’armée turque a toujours prudemment couvert ses liens étroits avec Israël face à la colère croissante du gouvernement et du public sur cette relation stratégique étroite.
•Cette exclusion d’Israël sera-t-elle la preuve d’un premier boycott tangible par un pays allié d’Israël ?
•Et, quel effet cela aura-t-il sur la politique obstinée d’Israël pour relâcher sa pression constante sur les Palestiniens ?
Jerrold Kessel et Pierre Klochendler – Jerusalem 15/10/09 Inter Press Service repris par www.atimes.com
Turquie- Israël ce n’est plus bizness comme d’habitude.
Des nouveaux contrats pour des centaines de millions de $ de fourniture en équipement fabriqués par les industries militaires israéliennes pour l’armée turque de même que la coopération entre militaires turcs st israéliens sont actuellement suspendus. Récemment, des responsables turcs ont préféré acheter un satellite espion à l’Italie alors même qu’il est plus cher que celui pouvant être fourni par les Israéliens et de moins bonne qualité.
La Turquie a menacé Israël de lui imposer pour des millions de $ d’amende à cause du retard dans la livraison à l’armée turque de 10 drones fabriqués par les Industries Aérospaciales Israéliennes(IAI). La Turquie a prévenu Israël que si les appareils ne sont pas livrés avant la fin de l’année l’affaire sera portée devant la Cour Internationale d’Arbitrage Commercial.
Ces drones ont été commandés il y a quatre ans pour un montant de 180 millions de $ selon le quotidien turc, Zaman, auprès d’Elbit Systems et des Industries Aérospaciales d’Israël, et la Turquie menace de demander 3 à 4 millions d’amende pour ce retard dans la livraison.
D’autre part, les exportations d’Israël vers la Turquie ont chuté de 40% les 9 premiers mois de cette année, et les entreprises turques ont des dettes et cela a un impact sur le secteur assurances en Israël. Les banques turques qui par le passé coopéraient volontiers avec les Israéliens en fournissant des informations sur la situation comptable des entreprises turques - surtout celles ayant des problèmes de trésorerie – se refusent désormais à le faire ce qui complique la tâche des exportateurs israéliens pour gérer les crédits accordés et fait porter le fardeau sur la principale compagnie d’assurance israélienne ICIC. « Ces derniers mois nous avons vu une augmentation exceptionnelle des retards de paiement des sociétés turques auprès des exportateurs israéliens » (paiement à 30 jours) a dit David Milgrom, CEO d’ICIC.
Les 9 premiers mois de l’année Israël a exporté pour 800 millions de $ de produits en Turquie, soit une baisse de 40% pour la même période en 2008. La baisse des exportations vers la Turquie est le double de la baisse générale des exportations israéliennes qui est de 20%. Les dettes des entreprises turques auprès des exportateurs israéliens a augmenté de 90% pour cette même période 2009, et actuellement se monte à 40 millions de $.
Des responsables israéliens prônent l’adoption d’un profil bas en espérant un retour à la « normale » d’ici peu. Mais certains en Israël analysent ce changement de position de la Turquie comme un « fait accompli » et reconnaissent que la Turquie n’est plus un partenaire stratégique et sécuritaire partageant une relation de dépendance vis-à-vis d’Israël, ce qui est un coup considérable pour Tel Aviv. Cela sape le pouvoir de dissuasion d’Israël vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran.
Quiconque regarde la carte régionale peut le comprendre facilement et en saisir les implications géopolitiques et stratégiques surtout pour Israël. Israël a commencé à chercher des relations de substitutions avec des pays comme l’Azerbaïdjan, le Turkmenistan, mais le processus est complexe, il est surveillé de près par la Russie, l’Iran, la Chine, reste instable, à court terme, et ne pourra en aucun cas remplacer des décennies de coopération étroite Turquie Israël.
Changement politique majeur de la Turquie dans la région, un point positif pour les Palestiniens
La Turquie semble mettre en place un changement politique majeur dans la région, se tournant vers l’Est comme alternative positive à ses relations frustrantes avec l’Ouest, surtout à cause de ses difficultés à obtenir gain de cause en ce qui concerne son adhésion à l’UE (La dernière visite turque à Paris s’est terminée par un fin de non recevoir de Sarkozy).
Selon les déclarations faites à IPS par le Dr Samir Awad de l’Université Birzeit près de Ramallah, Cisjordanie/Palestine occupée :
« Les relations de plus en plus tendues entre la Turquie et Israël et sa sympathie croissante pour la cause palestinienne pourraient avoir une influence importante sur les Européens, les Américains, et les Pays Arabes ».
« La Turquie, un pays musulman séculier à des liens forts avec le monde Musulman et Arabe. En même temps, elle a des relations fortes avec les Etats Unis qui la considèrent comme un allié régional et stratégique. Elle est aussi d’une certaine façon respectée par l’Occident pour être séculière et démocratique mais avec quelques dérives ».
La Syrie a annoncé mardi qu’elle allait participer à d’importantes manœuvres militaires conjointes avec la Turquie, au grand dam des Israéliens. Déjà en début d’année un exercice militaire conjoint avait été organisé.
Selon Anat Lapidot-Firilla, de l’Université de Jérusalem, qui s’est exprimée dans un article dans le quotidien israélien Haaretz, la Turquie se voit comme possible dirigeant du monde sunnite musulman.
La Turquie pourrait faire pression sur certains pays arabes pour qu’ils s’engagent plus pour aider les Palestiniens, notamment l’Arabie Saoudite, qui jusqu’à présent a joué un double jeu dans la région selon ses intérêts et ceux de son allié et protecteur américain. Hors tout récemment la Syrie et l’Arabie Saoudite ont renoué des liens tendus depuis des années à cause du Liban, sur lequel ils se sont mis d’accord pour favoriser la formation rapide d’un gouvernement d’Union Nationale incluant notamment les Shi’ites du Hezbollah et les Sunnites d’Hariri.
La Turquie pourrait jouer un rôle majeur pour consolider les liens Shi’ites Sunnites, notamment ceux entre l’Arabie Saoudite et l’Iran portant ainsi un coup fatal au projet américanosioniste de semer la discorde et provoquer un violent conflit régional entre Shi’ites et Sunnites. La Turquie pourrait donc œuvrer à cette réunification du monde musulman dans la région, ce que l’Iran et le Hezbollah réclament depuis un certain temps et retrouver ainsi son rôle d’antan.
Héritage de l’Empire Ottoman, La Turquie considère en effet comme faisant partie de sa mission d’assurer la paix et la stabilité de même que la prospérité économique dans la région, selon Lapidot.
« Les Turcs ont donné un exemple moral en menant des actions diplomatiques contre Israël, plus que ce que n’ont pu faire l’Egypte et la Jordanie, toutes deux ayant signé des traités de paix avec Israël » a affirmé le Dr Awad.
La Turquie - actuellement membre non permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU- a prévu de soutenir un certain nombre de résolutions pro palestiniennes à la fois dans des forums régionaux et internationaux au Conseil de Sécurité, à l’Assemblée Générale des Nations Unies, et au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève. La Turquie a aussi récemment participé à une rencontre de l’Organisation des Pays Islamiques et à une cession de la Ligue Arabe, et le « cas Israël » était partout sur l’Agenda.
« Même si auparavant la Turquie a toujours soutenu les résolutions pro palestiniennes dans ces réunions, je pense qu’elle se fera encore plus entendre dans le futur et fera plus de lobbying » a dit le Dr Awad.