Mine de rien, sans bruit médiatique, un événement majeur en matière de géopolitique, lourd de conséquences pour l’équilibre du monde, vient de se produire. La Turquie décroche...
Depuis longtemps, on parle de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Mais certains États sont particulièrement réticents, surtout la France et l’Allemagne, qui, pourtant, compte en son sein une importante communauté turque (1). Et les choses traînent, les années passent, la Turquie se lasse. Pourtant, M. Erdogan ne cesse de rappeler que l’intérêt de l’UE est d’intégrer la Turquie en son sein, afin que des ponts se tissent entre le Monde musulman fort de 1,5 milliards d’individus, et, à travers l’Europe, le reste du monde (2). Rien n’y fait.
L’Europe est l’artisan des revirements de la Turquie.
Le 29 janvier dernier, lors du Forum économique mondial de Davos, M. Erdogan claque la porte en reprochant aux organisateurs de ne pas avoir pu répondre à Shimon Peres pendant le débat sur le Moyen-Orient. Pour le premier ministre turc, la dernière opération militaire israélienne à Gaza, Plomb Durci, particulièrement meurtrière, était indéfendable (3).
Suivent une série de décisions ou de déclarations : « Erdogan vient de monter encore d’un cran dans ses accusations envers Israël. Lors d’un Congrès à Istanbul, il a exigé d’Israël « de mettre fin immédiatement au blocus imposé à la Bande de Gaza, car ce qui se passe là-bas est quelque chose de terrible que l’on ne peut pas laisser passer sous silence ». Le premier ministre turc a voulu préciser « que ce n’était pas parce qu’il est Musulman qu’il réagissait ainsi, mais tout simplement en tant qu’être humain ». Puis il a lancé l’accusation la plus grave : « D’un point de vue juridique, le blocus sur Gaza est un crime contre l’Humanité, et la Communauté internationale se doit d’intervenir pour y mettre fin, car c’est une véritable tragédie humaine ». Il a également accusé Israël « d’empêcher la reconstruction des zones détruites durant l’Opération ‘Plomb Durci’, en interdisant le passage de matériel vers la Bande de Gaza ».(4)
La Turquie marque de plus en plus son indépendance
Par ailleurs, la Turquie a récemment suspendu la participation de son armée de l’air aux manœuvres militaires conjointes avec l’OTAN en Anatolie (5). Manifestement, le pays n’a digéré ni l’opération d’Israël contre Gaza, ni les atermoiements de l’Europe à son égard. Il ne ménage plus ses critiques envers l’État d’Israël, et il se rapproche de l’Iran et de la Syrie, renouant ainsi avec ses racines orientales, notamment en concluant plusieurs accords de partenariat aussi bien avec Bagdad qu’avec Damas (6). Erdogan fut d’ailleurs l’un des premiers à féliciter Ahmadinejad après sa réélection de juin dernier (7)
Après avoir durci ses positions envers Israël (8), notamment à l’occasion du Rapport Goldstone qu’elle a soutenu, voici une nouvelle étape, la Turquie se rapproche aujourd’hui de l’Iran. Sur l’arsenal nucléaire du régime israélien, le Premier Ministre turc réclame un débat international (9). Il ne supporte plus le régime de faveur accordé à l’État hébreu, il dénonce la partialité de l’Occident envers l’Iran et son programme nucléaire : « Dans un entretien accordé au journal britannique »The Gardian« , Erdogan a estimé que les accusations occidentales proférées contre Téhéran le soupçonnant de vouloir se doter de la bombe nucléaire, sont fondées sur de »la calomnie« . Selon lui, »toute frappe militaire contre les installations nucléaires iraniennes serait une folie (..) D’un côté, on dit que l’on veut une paix mondiale, mais de l’autre on mène une approche destructrice contre un État qui a 10.000 ans d’histoire", a-t-il poursuivi.. (10).
Rapprochement avec l’Iran
La crise couve entre Israël et la Turquie, crise sourde pour le moment, mais qui risque, à terme, de devenir aiguë, alors que se dessine une intervention d’Israël contre l’Iran, et que l’État hébreu, justement, aurait d’autant plus besoin de la neutralité bienveillante de la Turquie pour mener ses opérations militaires, qu’il se trouve de plus en plus isolé dans la région et en butte à la désapprobation de l’opinion internationale (11).
Nouvelle épreuve pour Israël, M. Erdogan vient de se rendre à Téhéran « en compagnie de 200 personnalités politiques et économiques turques, y compris les ministres du commerce, des affaires étrangères et de l’énergie, sans compter 18 députés » (12), et le Premier ministre turc a qualifié le président iranien Mahmoud Ahmadinejad d’ami, en escomptant bien sceller des accords commerciaux avec celui que l’Occident diabolise.
Le Président Ahmadinejad a chaudement félicité son nouvel ami pour ses prises de position, "estimant que ses déclarations avaient eu des retombées bénéfiques dans le monde entier. Il a précisé : Le régime sioniste menace toutes les nations et fait tout pour qu’il n’y ait aucun pays puissant dans la région. Nous constatons que l’usage de la force à Gaza ne lui suffit pas et il attaque aussi Jérusalem la Sainte ». Les deux chefs d’État ont parlé de resserrer les relations entre leurs pays et ont débattu du nucléaire iranien. Ahmadinejad a déclaré : « L’Iran et la Turquie ont des intérêts communs et sont soumis aux mêmes menaces. Si nous coopérons, nous pourrons surmonter toutes nos difficultés pour le bien de nos deux peuples ». Quant au ministre israélien Lieberman, Erdogan l’a accusé notamment d’avoir menacé d’utiliser l’arme nucléaire contre Gaza (13)
Un tournant décisif à long terme
Ce changement d’orientation dans la politique turque induira, à long terme, de profonds changements pour le couple américano-israélien, et pour la communauté en général. En effet, la Turquie occupe une position stratégique sur l’échiquier international, au carrefour de deux mondes, occidental et oriental, chrétien et musulman. Las des tergiversations de l’UE, M. Erdogan, manifestement, joue désormais la carte de l’Orient, il renoue avec l’Islam et le passé ottoman. Il sera en mesure de faire monter les enchères et de peser sur les décisions internationales, au point de nuire aux intérêts atlantiques dans la région. Comment ? Par exemple en interdisant le survol de sa région en temps de conflit, de guerre. Ou en refusant d’aider l’OTAN à réaliser ses projets au Moyen Orient. Autant dire que l’Occident est sans doute en train de perdre une carte maîtresse dans cette partie du monde. Et cet avatar de la politique impériale risque d’avoir de très lourdes conséquences, surtout si Ankara resserre les liens avec l’Iran, décrété ennemi par la coalition occidentale.
Pas de rupture brutale, certes, mais des petits pas inquiétants, dans une direction qui a tout pour préoccuper l’OTAN au moment où, sans doute, elle prépare une offensive contre l’Iran. Le camp non aligné vient de se renforcer, et nous n’avons pas fini d’en voir les conséquences, sinon à court terme, du moins à plus long terme.
Notes et références :
(1) Parmi les dirigeants européens, certains comme en France ou en Allemagne, ont des préjugés sur la Turquie. Sous Chirac, nous avions de très bonnes relations [avec la France] et il était très positif envers la Turquie. Mais sous Sarkozy, ce n’est pas la même chose. http://www.actu.co.il/2009/10/erdog...
(2) C’est une attitude injuste. L’Union européenne viole ses propres règles. Être dans l’Union européenne nous permettrait de construire des ponts entre le monde musulman, qui compte 1,5 milliards d’individus, et le reste du monde. Il faut qu’ils s’en rendent compte. S’ils l’ignorent, cela affaiblira l’UE. http://www.actu.co.il/2009/10/erdog...
(3) http://www.wikio.fr/video/806835 , http://www.lepost.fr/article/2009/0...er-ministre-turc-claque-la-porte-a-shimon-peres.html etc.
(4) http://www.actu.co.il/2009/10/erdog...
(5) Israël vient d’encaisser un très sérieux coup dur diplomatique. La Turquie, seul pays musulman lié par un accord de coopération militaire à l’État hébreu, a mis son veto à la participation de l’aviation israélienne à des manœuvres qui devaient avoir lieu cette semaine dans son espace aérien (..) Pour les responsables israéliens, cette initiative a tout d’une sonnette d’alarme. Jusqu’à présent, la Turquie était en effet considérée comme un allié stratégique de toute première importance (..) À ce tableau, il faut ajouter des échanges entre services de renseignements et d’importantes ventes d’armes israéliennes à la Turquie(..) Mais ces relations privilégiées se sont toutefois « lézardées ». Ces derniers mois, Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre et chef d’un parti islamiste, a durci le ton. Mais tant que la coopération militaire n’était pas touchée, les Israéliens n’en prenaient pas ombrage. L’annulation de la participation d’Israël à des manœuvres semble en revanche marquer un changement des règles du jeu.
http://www.lefigaro.fr/internationa...
(6) http://chiron.over-blog.org/article...
http://www.alterinfo.net/Avant-son-...,-Erdogan-denonce-les-calomnies-de-l-Occident-contre-Teheran_a38465.html
(7) http://chiron.over-blog.org/article...
http://www.alterinfo.net/Avant-son-...,-Erdogan-denonce-les-calomnies-de-l-Occident-contre-Teheran_a38465.html
(8) Il y a eu successivement la campagne contre l’ambassadeur Edelman, digne du Stürmer et de la Pravda. Puis des rééditions massives de Kavgam, la traduction turque de Mein Kampf, suivies de Hitler’in Liderlik Sirlari (Les qualités de leadership de Hitler), et de Metal Firtina (Tempête métallique), un roman de politique-fiction décrivant une agression militaire américaine contre la Turquie (450 000 exemplaires vendus en moins d’un an). Puis Kurtlar Vadisi (La Vallée des Loups), une série télévisée où l’opération américaine en Irak est présentée comme une opération génocidaire antiturque, et où des Juifs américains sont déjà impliqués dans des trafics d’organe, thème qu’allait reprendre en 2009 un journal suédois à grand tirage. Et enfin le récent film de la première chaîne publique de la télévision turque, sur les soi disant atrocités israéliennes à Gaza
(http://www.rebelles.info/article-tu...)
(9) Le premier ministre turc prône un débat international sur l’arsenal nucléaire du régime israélien. Recep Tayyip Erdogan, a déclaré, samedi, lors du IIe Congrès de son Parti, « Justice et Développement », que si la question nucléaire iranienne faisait l’objet d’un débat, sur la scène internationale, il faudrait en faire autant sur les armes nucléaires du régime israélien. « La Turquie réclame une politique basée sur davantage de justice dans le monde, et si l’on évoque les armes à destruction massive, on devrait, aussi, parler des bombes à phosphore utilisées, par le régime israélien à Gaza », a-t-il dit. Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, a affirmé l’opposition de son pays à la prolifération des armes nucléaire dans la région du Moyen-Orient, précisant que le régime israélien est le seul pays dans la région qui possède l’arme nucléaire. M. Erdogan a indiqué que le monde doit être juste s’il désir que la paix règne, soulignant que l’Iran n’a rien fait tandis que le régime israélien a perpétré des crimes à Gaza. Il a qualifié de folie tout acte militaire contre l’Iran, soulignant qu’on doit tirer une leçon de l’invasion américaine contre l’Irak où une civilisation entière a été anéantie et plus d’un million d’Irakien ont été tués. Source : Irna http://www.soueich.info/article-370...
(10) http://www.alterinfo.net/Avant-son-...,-Erdogan-denonce-les-calomnies-de-l-Occident-contre-Teheran_a38465.html
http://chiron.over-blog.org/article...
(11) La menace d’une crise aiguë avec la Turquie inquiète au plus haut point les responsables israéliens au moment où une neutralité « bienveillante » d’Ankara serait la bienvenue dans l’épreuve de force engagée avec l’Iran. Israël se retrouve de plus en plus isolé dans la région. Les relations avec l’Égypte et la Jordanie, les deux seuls pays arabes entretenant des relations diplomatiques avec l’État hébreu, se sont très nettement refroidies. Barack Obama, malgré tous ses efforts, n’est pas parvenu à convaincre des pays du Golfe d’accepter de faire le moindre geste envers Israël. Sur le front palestinien, George Mitchell, l’émissaire spécial américain, est reparti au début de la semaine les mains vides. Bref, pour le moment aucune embellie n’est en vue…
http://www.lefigaro.fr/internationa...
(12) http://www.alterinfo.net/Avant-son-...,-Erdogan-denonce-les-calomnies-de-l-Occident-contre-Teheran_a38465.html
(13) http://www.actu.co.il/2009/10/erdog...