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Turquie : les intellectuels mettent l’armée en garde

dimanche 2 janvier 2011, par Marillac

Le 17 décembre dernier, alors que l’espace politique s’agitait autour des propositions faites par les mouvements kurdes et concernant l’emploi systématisé de la langue kurde dans les municipalités du sud-est anatolien, l’état-major général des armées turques réagissait à ce débat sur son site Internet.

Tenant cette ingérence militaire comme illégitime et foncièrement anti-démocratique, constatant le plus grand silence des partis politiques sur ce sujet, les intellectuels turcs ont tenu à réagir en deux phases :

- une contre-déclaration publique pavant la voie à une pétition ouverte sur le site www.genelkurmayasucduyurusu.org

- une “dénonciation” de cette prise de position de l’état-major auprès du procureur de la république, afin de faire respecter les lois militaire et civile en Turquie.

Cette démarche n’est pas une première : le 26 septembre 2009, à peu près le même groupe d’intellectuels signait une semblable “dénonciation” de l’ingérence du précédent chef d’état-major général, Ilker Basbug. Celle-ci intervient cependant dans un tout autre contexte. L’année 2010 a accéléré le processus de démilitarisation du système politique turc : d’abord, l’affaire dite du “plan Balyoz” révélée en janvier 2010 a conduit à la comparution de 196 officiers de haut rang le 16 décembre dernier. Puis sur fond de cette même affaire, le gouvernement s’est à son tour et pour la première fois, ingéré dans les décisions du Conseil Militaire Suprême d’août 2010, décisions concernant les nominations à la tête de l’armée et de ses différentes forces.

L’armée était déjà intervenue dans le débat public via son site Internet le 27 mai 2007 au moment de l’élection présidentielle qui allait conduire Abdullah Gül, membre de l’AKP (islamo-conservateur), à la présidence de la république. La société civile avait alors raillé un e-coup d’ét@t. La thématique invoquée était celle de la laïcité. Il s’agit aujourd’hui de préserver l’unité et l’indivisibilité de la nation.

- Ci-dessous, la traduction de la « dénonciation » et de la pétition.
— -

“Nous aussi, nous mettons l’armée en garde”

Le 17 décembre dernier, un vendredi, ce jour saint choisi depuis 1960 pour être celui des coups d’Etat et des memorandums militaires, nous sommes tombés sur un énième “communiqué de presse” sur le site Internet de l’état-major des armées turques, un communiqué reprenant des positions politiques énoncées sur un mode toujours aussi impératif.
Les débats concernant l’emploi de la langue kurde comme seconde langue en plus de la langue officielle du pays prennent place dans l’espace politique turc. Cette anachronique ingérence militaire ne procède de rien d’autre que d’un malheureux effort visant à rogner les prérogatives législatives de l’Assemblée nationale, ou que d’une provocation désespérée. La Turquie a depuis longtemps enterré les fautesdelits et l’indiscipline militaires des coups d’Etat dans les poubelles de son histoire.

En outre, cette ingérence publiée dans un style menaçant par certains employés d’ Etat armés et affirmant dans son dernier paragraphe qu’il en irait encore ainsi est un délit prévu par le code pénal militaire, article 148 / C et E qui prévoit une peine de “1 mois à 5 ans d’emprisonnement”. Une dénonciation concernant cet acte de l’institution militaire a été intentée auprès du procureur de la république.

Il n’est pas du ressort de l’état-major général que de s’occuper de politique, de langue ou de littérature. La seule mission de cette institution d’Etat consiste à défendre notre pays contre toute menace extérieure et ce, dans le cadre des consignes énoncées par l’Assemblée et le gouvernement.

Ahmet İnsel

Ali Bayramoğlu

Aydın Engin

Baskın Oran

Cengiz Aktar

Cengiz Alğan

Gencay Gürsoy

Ümit Kardaş


Au procureur de la république, Ankara

(« Dénonciation » transmise au parquet le 20.12.2010 à 13h30)

Le 17 décembre 2010 sur le site Internet de l’état-major général a été publiée une déclaration à l’attention du monde politique et de la société, déclaration dont on comprenait qu’elle avait été émise au vu et au su de la présidence de l’état-major général.

Dans cette déclaration ont été émis, d’un ton menaçant, des jugements et des positions politiques sur les thèmes de la langue officielle et l’utilisation sociale de la langue, problématiques dont le débat et les solutions relèvent exclusivement de l’espace politique. Par ces positions, le commandant d’une institution armée est sorti du champ de compétences propres que la loi lui assigne, tout en contribuant à faire en sorte que la politique ne soit pas l’espace d’une solution à ces problèmes et en prenant le risque d’abolir la liberté d’expression sociale et individuelle.

Les discours politiques des personnalités militaires, leurs déclarations, leurs prises de position écrites ainsi que leurs diverses incitations, leurs prises de position politiques ainsi que leur transmission aux divers organes de presse sont considérées comme des délits à l’article 148 alinéas C et E du code pénal militaire.

Pour les raisons précisées ci-dessus, nous dénonçons le général Isik Kosaner, chef de l’état-major général, nous demandons à ce qu’une enquête soit ouverte sur lui dans le cadre des positions prises dans cette déclaration et selon son domaine de compétences tel que défini par l’article 148 de la constitution, alinéas 7 et 8.

Ahmet İnsel

Ali Bayramoğlu

Aydın Engin

Baskın Oran

Cengiz Aktar

Cengiz Alğan

Gencay Gürsoy

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