En dépit des rapports tumultueux qu’ils entretiennent depuis l’incident de Davos et plus encore depuis la récente crise de la flottille, la Turquie et Israël font décidément penser à ces vieux couples, en permanence au bord de la rupture, mais qui n’arrivent pas vraiment à se séparer…
Toute la presse turque rapportait ce matin qu’une entrevue secrète avait eu lieu entre le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, et le ministre israélien du commerce et de l’industrie, Benyamin Ben Eliezer. Si les deux pays ont confirmé cette rencontre, on ne sait pas très bien en revanche où elle a eu lieu, puisque tandis que les Israéliens évoquaient la ville suisse de Zurich, les Turcs parlaient de Bruxelles (où se tenait par ailleurs une rencontre interministérielle européenne).
L’entrevue aurait été demandée par Tel-Aviv. Cette information doit être cependant accueillie avec beaucoup de prudence. Si Benyamin Ben Eliezer a pu être mandaté à cette fin, ce gouvernement israélien, qui repose sur une coalition hétéroclite, nous a habitué à avancer en ordre dispersé et à jouer plusieurs cartes à la fois, dussent-elles être contradictoires. Ainsi, en novembre 2009, Ben Eliezer avait déjà prétendu avoir reçu un mandat ferme pour restaurer les relations turco-israéliennes (cf. notre édition du 25 novembre 2009), ce qui n’avait pas empêché, peu après, en janvier 2010, le vice-ministre israélien des affaires étrangères, Dany Ayalon, d’humilier publiquement l’ambassadeur de Turquie (cf. notre édition du 14 février 2010), à l’occasion d’un incident diplomatique qui avait été analysé comme un coup porté par les tendances les plus extrémistes de ce gouvernement à la visite que devait effectuer peu après, à Ankara, le ministre de la défense travailliste, Ehoud Barak (cf. notre édition du 14 février 2010). Au moins, à l’occasion de ces péripéties, on avait compris que l’attitude à tenir vis-à-vis de la Turquie constituait au sein du gouvernement de Benyamin Netanyahou, une pomme de discorde majeure, opposant notamment les travaillistes, favorables à la préservation des liens avec Ankara, à l’extrême droite dont la figure de proue, le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, ne cesse de condamner, en terme particulièrement durs, la diplomatie du gouvernement de l’AKP.
Il est vrai que Benyamin Ben Eliezer a été plusieurs fois mis en avant pour essayer d’enrayer la dégradation des relations entre les deux pays. Il a été aussi le premier officiel de l’État hébreu à s’exprimer après le raid de la flottille, en usant d’une rhétorique modérée, destinée à amortir le choc provoqué par la mort des 9 humanitaires du Mavi Marmara. Quoiqu’il en soit, on observe que sa nouvelle initiative turque lui a déjà valu une volée de bois vert de la part de son collègue Lieberman qui, furieux d’avoir été tenu à l’écart, n’a pas hésité à parler d’une « insulte » à son égard, en évoquant l’existence d’une crise de confiance profonde entre lui et Benyamin Netanyahou.
La démarche israélienne, qui se situe dans le prolongement d’une décision précédente récente d’allègement du blocus de Gaza, confirme néanmoins que l’heure d’une certaine désescalade semble avoir sonné à Tel Aviv. Sans doute, les Américains, qui s’impatientent de la permanente fuite en avant de ce gouvernement israélien, ne sont-ils par pour rien dans cette initiative, mais on peut aussi se demander jusqu’où elle peut aller et quels résultats elle peut laisser espérer. On voit mal, en effet, Benyamin Netanyahou présenter des excuses à la Turquie et accepter la constitution d’une véritable commission d’enquête internationale pour enquêter sur le raid du 31 mai.
Côté turc, où l’on a fait preuve au cours des dernières semaines d’une fermeté déterminée, cette accalmie peut être également l’occasion de sortir d’une stratégie quelque peu téméraire. Car, si les conditions turques assignées à Tel Aviv pour renouer ne sont pas satisfaites et qu’Ankara persiste à renoncer à rompre avec l’Etat hébreu, la belle détermination du gouvernement de l’AKP risque fort de perdre une partie de sa crédibilité. En outre, la dégradation de la situation dans le sud-est, qui s’est accentuée récemment, incite fortement les autorités turques à ne pas se priver d’un fournisseur de matériel militaire directement utilisé dans la lutte qu’elles mènent contre le PKK.
Il reste que la perspective d’une restauration des relations turco-israéliennes, à court et moyen terme, paraît très improbable, car un compromis sur le règlement de l’affaire de la flottille risque fort d’apparaître, de part et d’autre, comme une reculade, suite aux discours radicaux tenus au cours des dernières semaines. On dit souvent en Méditerranée orientale, que lorsque deux chats sont montés dans un arbre, il arrive qu’il leur soit difficile de pouvoir en redescendre facilement…
JM