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Reconnaître ou réunifier ?

vendredi 12 août 2005, par Erdal Guven, Marillac

© Erdal Güven, Radikal, 7/08/2005
Traduction : Marillac
Avrazya

Erdal Güven, journaliste du quotidien turc Radikal, constitue une cible de choix pour les nationalistes et conservateurs de tout poil : démocrate et fervent partisan d’une solution à Chypre, il ne peut aujourd’hui cacher sa profonde amertume face à la dernière, et non la moindre, des palinodies européennes et françaises.
http://www.radikal.com.tr

« La sortie diplomatique réalisée par la France en fin de semaine dernière, n’est pas seulement dépourvue de tout fondement ; mais recèle en même temps la possibilité de rendre la question chypriote encore moins à même d’être résolue.

A Chypre, le problème de base c’est la division ; le fait qu’on ne puisse pas parvenir à réunifier les deux parties sur la base d’un accord mutuellement accepté ; et non pas, comme essaye de le faire croire la France, le fait que la Turquie ne reconnaisse pas la République de Chypre.
Cette non reconnaissance n’est qu’une des multiples conséquences de l’impossibilité de la réunification de l’île.

Chypre constitue un différent international. Le lieu de sa solution est l’ONU, pas l’UE. Toute contribution de la France, en tant que membre de l’UE, dans le sens d’une solution sur l’île, est évidemment la bienvenue. Par exemple, appeler les parties en présence à regagner la table des négociations, les encourager, les inciter sont autant de contributions envisageables. Sur la dernière année, si quelqu’un a entendu la France se fendre de la moindre proposition significative en ce sens, qu’il se manifeste... Voilà pour l’aspect politique de la question.

Puis il y a tout le côté proprement juridique. La France fait part de son point de vue concernant la nécessité d’une reconnaissance de la République de Chypre comme préalable au début des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE, en l’insérant dans un cadre juridique. Il faut alors s’interroger : puisque la France semble si éprise de juridisme, qu’a-t-elle fait dans le sens de l’approbation par le Conseil de Sécurité du rapport du Secrétaire Général des Nations Unies appelant à une levée de l’embargo et des différentes limitations qui pèsent sur la République Turque de Chypre du Nord (RTCN) ?
Puisque la France est si assise sur le respect des règles de droit, où était-elle lorsqu’il s’est agi de faire voter et mettre en œuvre les règlements préparés par la Commission Européenne concernant une aide financière et le commerce direct entre la RTCN et l’UE ?
Pour autant que je sache et pour autant qu’il puisse paraître, rien du tout...

C’est que les intentions françaises sont tout autres. Pendant des années, face à la Turquie, elle s’est dissimulée derrière la Grèce. Même tardivement, Athènes est parvenue à l’âge de raison et s’est écartée. Aujourd’hui, la France a tendance à brandir Chypre comme nouveau paravent. L’opposition allemande - qui soit dit en passant n’est plus très loin du pouvoir - et le gouvernement autrichien n’ont pas tardé à emprunter la voie ouverte par la France. Quant au gouvernement chypriote grec, il se satisfait pleinement et plus qu’hier encore du rôle qui lui est ainsi attribué.

D’ailleurs, le principal problème dans cette saillie française se trouve précisément ici. Le pouvoir chypriote grec en était venu, sur pression de l’UE, à se contenter, en vue du début des négociations d’adhésion de la Turquie l’UE, d’une simple ratification par la Turquie du protocole additionnel sur l’extension aux dix nouveaux membres de l’accord d’union douanière avec la Turquie. Mais avec l’intervention française, appuyée par l’Allemagne et l’Autriche, il a relevé la barre et a commencé d’évoquer la possibilité d’user de son droit de veto le 3 octobre prochain en cas de non reconnaissance par la Turquie. Et soyez certains que Papadopoulos (Président de la République de Chypre, ndt) est un politicien capable d’envisager froidement les conséquences d’un veto, pourvu qu’il soit assuré d’un soutien suffisant.

Or tous autant qu’ils soient, ils sont parfaitement conscients que pour la Turquie, au moins jusqu’au 3 octobre (pour la suite je ne sais pas), il n’est pas question, ne serait-ce que d’évoquer, une reconnaissance de la république de Chypre comme condition au début des négociations d’adhésion. Toutes choses par ailleurs, la Turquie s’est engagée en affirmant une fois de plus dans le cadre de la déclaration politique accompagnant la signature du protocole additionnel, qu’elle ne reconnaîtrait pas la République de Chypre tant qu’une solution ne serait pas trouvée sur l’île.
En conséquence, la saillie du gouvernement français risque bien de faire du différent chypriote la raison d’une vive tension. Le problème peut très bien prendre la voie d’une véritable crise. Pour comprendre que les échos d’une telle crise ne resteront pas limités à la seule île de Chypre mais pourront très bien s’étendre à la mer Egée et à l’axe Ankara-Bruxelles, il suffit d’un bref coup d’œil lancé au passé récent.

Alors si la France ne peut pas voir tout cela... Il n’y a plus rien à dire. Mais si elle fait cela en toute lucidité, alors il y a beaucoup à dire. Toujours est-il qu’il peut être utile d’attendre la dernière parole de Paris sur ce sujet.
Ce qui peut aujourd’hui être encore rassurant, c’est que l’UE ni par la voix de sa Présidence, ni par celle de sa Commission ne semble partager le point de vue français, et maintient la recommandation selon laquelle il convient de commencer les négociations d’adhésion le 3 octobre prochain.

Toujours est-il que la Turquie qui aurait mérité de vivre cette période avec le sentiment du devoir accompli, la passe sous un ciel chargé de points d’interrogation et de complications... Et cela, c’est tout au déshonneur de la France. »

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