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Mabuse and Co

lundi 15 août 2005, par Marillac

Un des nombreux et particulièrement inspirés épigones du docteur Mabuse, un certain Weiss, vient de « prouver » à grand renfort médiatique que les Turcs étaient plus bêtes que les Allemands ! Si, si.

Et le Premier Ministre français, M. de Villepin, de prendre Frankenstein au pied de la lettre en exigeant de la Turquie la reconnaissance de la République de Chypre comme préalable au début des négociations d’adhésion prévu le 3 octobre prochain.

Que le chef du gouvernement français ne sache pas, en tant qu’ancien ministre des affaires étrangères, qu’une telle condition est à la fois impossible et injuste, n’est tout simplement pas pensable.

Qu’il trouve là et sur le dos de l’éternel épouvantail turc, le moyen de regagner en fougue « napoléonienne » tout ce qu’il a perdu au cours du morne lancement de ses austères 100 jours paraît plus plausible (tout en rappelant comment Napoléon avait su réfréner la sienne au sujet de la possible conquête d’Istanbul : « c’est l’empire du monde », aurait-il rétorqué).

Qu’il trouve là aussi le moyen de se préparer à un flirt prolongé avec Angela Merkel, pressentie au poste de Chancelier pour le mois de septembre, laisse augurer de ce à quoi va pouvoir, sous peu, ressembler, la politique étrangère de l’Union Européenne.

Chypre d’abord : soutenir encore aujourd’hui que le problème se pose en termes de reconnaissance de l’administration grecque du sud de l’île et donc en termes de présence illégale de l’armée turque au nord, c’est faire fi du cadre de résolution du conflit, le plan Annan, certes non reconnu par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies (merci M. Poutine), mais approuvé par 60 % des Chypriotes-Turcs (en avril 2004), qui se sont prononcés en faveur d’une solution à deux peuples, deux états chapeautés par un seul état « fédéral ». Imposer à Ankara la reconnaissance de la seule et exclusive légitimité de l’Etat grec sur l’ensemble de l’île constitue aujourd’hui un véritable déni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Et malgré les assertions « scientifiques » de l’éminent docteur Weiss, il y a peu de chances que les Turcs se décident à avancer dans une telle direction. Bien au contraire.
Soit dit en passant, un tel niveau d’exigence associé à une véritable volonté d’empêcher le début des négociations avec la Turquie (mais là est la question : y a-t-il aujourd’hui une quelconque volonté politique européenne ?) pourrait peut-être contribuer à faire bouger les lignes grecques sur la question d’une reprise des négociations dans le cadre des Nations-Unies, reprise que M. Papadopoulos, le dirigeant chypriote-grec, a toujours soigneusement cherché à éviter, voyant, à juste titre, les intérêts de sa cause mieux assurés dans le lent processus de dilution économique et politique favorisé par l’ouverture progressive des frontières avec le nord que dans une hasardeuse négociation. Mais peut-on accorder la paternité d’un tel machiavélisme à M. de Villepin ?

Enfin, réclamer aujourd’hui une reconnaissance comme préalable aux négociations d’adhésion, c’est faire bien peu de cas des accords passés entre Bruxelles et Ankara, notamment le 17 décembre dernier.

Mais peu importe après tout : l’UE se plaint aujourd’hui de la versatilité iranienne sur le dossier nucléaire.
Quelle crédibilité restera-t-il à la troïka européenne lorsque l’UE aura définitivement fait preuve de la sienne propre ainsi que de sa légèreté sur un sujet, la Turquie, qui la touche aujourd’hui directement ?
Qu’ira-t-elle dire demain à des Turcs pourquoi pas soucieux de se doter de l’arme nucléaire pour faire juste pendant à un Iran dont Bruxelles n’a pas voulu le voisinage ? « Pacsons »-nous et jouons au Partenariat Privilégié ? Qui n’en rirait pas de par le monde ?
Les dirigeants européens peut-être, trop empreints d’un certain esprit de sérieux ?

Mais peu importe après tout puisqu’Angela Merkel nous annonce d’ores et déjà une réorientation - que dis-je, une révolution - stratégique de la diplomatie allemande : fini la Turquie (ça suffit !), moins de Russie et un peu plus de Bush !!!
De la Moldavie au Proche-Orient en passant par le Caucase, l’Iran et l’Asie centrale, voilà la promesse d’un sérieux renforcement des positions de l’Europe dite puissance !

« Dis-papa, ils disent vraiment ça pour de vrai ? »
Puissions-nous croire qu’il ne s’agit que d’une farce de guignols !

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